Un texte signé Philippe Delvaux

entretiensFEFFS 2012Offscreen édition 2009

Letters from a dead man… conversation with a living one: interview de Konstantin Lopushansky

Konstantin Lopushansky a commencé sa carrière comme assistant sur STALKER d’Andréi Tarkovsky. Pas étonnant dès lors de la voir signer dès son premier long métrage une œuvre intégrant des préoccupations stylistiques et thématiques que n’auraient pas reniées son maître. LETTERS FROM A DEAD MAN (1986, reprogrammé au festival Offscreen 2009), LE VISITEUR DU MUSEE (1989), RUSSIAN SYMPHONY (1994) et plus récemment THE UGGLY SWANS (2006, programmé au BIFFF en 2007) en sont l’éclatante preuve.
LETTERS FROM A DEAD MAN s’attarde au quotidien des survivants d’une catastrophe nucléaire, terrés dans les caves d’un musée. Les uns se meurent des suites des radiations, d’autres se suicident, quelques uns parlent de se réfugier définitivement sous terre, au sein du gigantesque bunker occupé par ce qu’il reste d’autorité. Nous suivons les traces d’un vieil homme qui tente de raisonner, de comprendre cette tragédie, ce gâchis, en écrivant des lettres à son fils mort dans la catastrophe. L’arrivée d’orphelins donnera-t-il un sens aux derniers instants de sa vie ?
Rencontre avec Konstantin Lopushansky à la suite de la projection de LETTERS FROM A DEAD MAN

Comment est né LETTERS FROM A DEAD MAN ?
Le scénario est une création originale, dont l’idée m’est venue vers 1983. J’ai su que je devais le réaliser suite à une expérience mystique : je me trouvais dans une église orthodoxe, le 19 août 1983, date qui dans le calendrier liturgique orthodoxe correspond à une fête prisée des artistes. Me voilà occupé à tourner autour de la croix, en procession. Le prêtre fait passer une icône que touchent les gens autour de moi. A ce moment, j’ai ressenti une révélation, celle que ce film dont j’avais eu l’idée un peu avant devait absolument être fait.
Après cela, il a encore fallu deux ans pour terminer LETTERS FROM A DEAD MAN qui était mon tout premier long métrage. Nous étions occupés à tirer la première copie le 26/4/1985 quand l’ingénieur du laboratoire nous a fait venir pour écouter la radio : la catastrophe de Tchernobyl venait de se produire. Ceci l’inscrivait, hélas, d’autant plus dans l’air du temps.
LETTERS FROM A DEAD MAN est aussi le premier film de l’époque de la Peretroïka.
Il a obtenu un certains succès public avec une audience de 15 millions de personnes pour une sortie sur 2000 copies et une programmation hors Union soviétique dans de nombreux festivals. Pourtant, au début, il a parfois été mal reçu par le public, peu habitué à une œuvre tellement différente de ce qui passait les rets de la censure.

Avez-vous rencontré des problèmes avec la censure en Union soviétique ?
Le projet s’est monté à une époque charnière : Gorbatchev initiait sa Perestroïka mais les choses commençaient seulement à bouger. Au début, la censure voulait interdire purement et simplement le film en Union soviétique. Mais son succès en festival à l’étranger a aidé : la rumeur s’est répandue et Gorbatchev a fini par demander à le voir. Ensuite de quoi, il a approuvé sa diffusion en le qualifiant de premier film de la Perestroïka.
Jusque dans les années ’80, le système était très centralisé : les projets de films passaient dans un comité de sélection qui décidait de leur sort. Un refus coulait le projet, la censure étant très forte. Mais en cas de feu vert, les moyens se débloquaient très facilement, il ne fallait plus trop chercher de financement. Ce système a coulé avec l’effondrement de la censure. On peut actuellement tourner ce que l’on veut… à condition d’en trouver les moyens. Même si la censure officielle s’est estompée, je suis un peu nostalgique de l’ancienne manière, du moins pour les facilités de tournage qu’elle permettait.
Une autre particularité de la censure était qu’elle fonctionnait plutôt sur le mode du tout ou rien : soit le film était interdit, soit il était autorisé, et dans ce dernier cas, il passait intouché. Le résultat est donc le montage tel que je l’ai conçu.

A-t-il été facile de réunir un casting pour un projet aussi atypique dans le paysage soviétique d’alors ?
Comme souvent à cette époque, un projet novateur faisait parler de lui avant même de démarrer. Les rumeurs sur le lancement du film ont couru dans le milieu. Il y avait une curiosité, due à l’aspect hors norme du film. Nous avons donc obtenu de l’aide de nombreuses personnes et de nombreux acteurs étaient intéressés.
J’ai confié le rôle principal à Roland Bykov, un très grand acteur russe, alors à l’apogée de sa carrière. Sa notoriété a également aidé à faire mieux passer le film auprès de la censure. Quant aux personnages des orphelins de l’internat… je les ai fait jouer à des enfants issus d’un véritable internat, pour qui l’expérience était une belle et longue récréation.

Ce qui étonne aussi dans LETTERS FROM A DEAD MAN, c’est la richesse des décors. Comment avez-vous obtenu les budgets nécessaires pour recréer ce monde apocalyptique ?
A l’époque, les décorateurs russes accomplissaient des prodiges. Et, comme je l’ai indiqué, la curiosité, l’attente d’un projet non formaté nous ont aidé à obtenir de l’aide de nombreuses personnes et institutions, souvent gratuitement. Actuellement, ce ne serait plus possible : la société a changé et tout est devenu payant. Wim Wenders était d’ailleurs stupéfait que nous ayons pu tourner dans le métro, et gratuitement encore bien.

Et votre carrière récente ?
THE UGGLY SWANS (2006), mon dernier film, renoue avec le type de science-fiction réflexive qu’on trouvait dans LETTERS FROM A DEAD MAN, même si, 20 ans après mon premier essai, THE UGGLY SWANS est très différent. Mes bons rapport avec Gorbatchev m’ont encore aidé car le fonds qu’il patronne et qui subventionne des projets qui traitent de problème globaux a financé en partie le film. Gorbatchev s’est souvenu de 1986 et de LETTERS FROM A DEAD MAN.

Après LETTERS FROM A DEAD MAN, Konstantin Lopushansky tournera encore LE VISITEUR DU MUSEE (1989) et RUSSIAN SYMPHONY (1994), également situés dans un monde post-apocalyptique.

Propos recueillis par Philippe Delvaux le 15/3/2009 au Festival Offscreen


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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