Un texte signé Alexandre Lecouffe

Grande Bretagne - 1959 - John Gilling
Titres alternatifs : The flesh and the fiends
Interprètes : Peter Cushing, Donald Pleasance, Billie Whitelaw

retrospective

L’impasse aux violences

Conçu par le duo Robert Baker/Monty Berman, producteurs, scénaristes et réalisateurs anglais (de JACK L’EVENTREUR qui date de la même année et qui a de nombreux points communs avec le film traité), L’IMPASSE AUX VIOLENCES est mis en scène par John Gilling à qui l’on devra entre autres L’INVASION DES MORTS-VIVANTS et LA FEMME REPTILE (1966), deux remarquables productions de la Hammer. Se démarquant des films produits par la célèbre firme anglaise précitée par son souci de naturalisme social et son ancrage dans des faits réels, L’IMPASSE AUX VIOLENCES (ou « la chair et les démons » en V.O.) a comme toile de fond les méfaits de deux « récupérateurs de cadavres » ayant existé, Burke et Hare. L’histoire de ces deux assassins particuliers avait déjà fait l’objet d’adaptations cinématographiques, notamment dans THE GREED OF WILLIAM HART (O. Mitchell, 1948) sur un scénario de… John Gilling, contraint à l’époque par la censure de changer les noms des deux personnages principaux.
Nous sommes à Edimbourg vers 1830 et faisons la connaissance du célèbre docteur en chirurgie et anatomiste Robert Knox (Peter Cushing) ; ce dernier accepte que des récupérateurs de cadavres le fournissent, seul moyen de faire progresser ses recherches sur la complexité du corps humain. Alléchés par les rémunérations généreuses du docteur, deux individus sans scrupules, Burke et Hare décident de commettre des meurtres afin de fournir le chercheur en cadavres frais… Dans le même temps, Chris, le jeune assistant du docteur, tombe amoureux de Mary, une prostituée qu’il voudrait extraire de son milieu en l’épousant ; mais les sinistres Burke et Hare rôdent autour de la jeune femme…
De sa séquence d’ouverture nocturne dans un cimetière où deux individus sortent un cadavre de son cercueil, à son final qui voit l’exécution d’un homme par pendaison, L’IMPASSE AUX VIOLENCES dépeint un monde d’une noirceur et d’une violence assez stupéfiantes. Contrairement aux films gothiques et colorés de la Hammer de l’époque (FRANKENSTEIN S’EST ECHAPPE, 1957 ou LE CAUCHEMAR DE DRACULE, 1958 tous deux de Terence Fisher) qu’ils souhaitaient concurrencer, Berman et Baker optèrent donc pour un style réaliste, l’emploi du noir et blanc et un genre assez rare, le film d’horreur social. L’horreur est personnalisée par les figures des deux assassins qui tuent avec un détachement et un sadisme effroyables leurs victimes (vieillard, femme, enfant…). Motivés par l’appât du gain, les meurtres sont en fait commis par plaisir et il n’est interdit de voir dans le duo Burke et Hare les précurseurs des personnages de tueurs en série (voir le duo formé par Henry et Otis dans HENRY, PORTRAIT D’UN SERIAL KILLER de John Mac Naughton, 1986). Des deux, Hare est celui qui pense ; remarquablement interprété par Donald Pleasance (le Dr Loomis de HALLOWEEN de John Carpenter, l’entomologiste de PHENOMENA de Dario Argento) on le voit notamment dans une scène effectuer une petite danse comique autour de son acolyte qui est en train d’étouffer une vieille femme. Impossible de ne pas penser à ORANGE MECANIQUE de Stanley Kubrick (1971) et à la scène où Alex danse et entonne « Singin’in the rain » pendant l’agression puis le viol d’une jeune femme. Hare et Alex ont de nombreux points communs allant des attributs (le chapeau, la canne) au caractère (sadisme, détachement cynique face au crime, rôle dominant…) et il est évident que le réalisateur américain avait vu et assimilé de nombreux aspects du film. Mais l’horreur est aussi personnifiée par la figure respectée du Dr Knox qui est finalement le créateur involontaire de ces deux monstres ; sa part de culpabilité est d’autant plus grande qu’il ne manifeste aucune empathie à l’égard des malheureuses victimes du duo dont il a deviné le mode de fonctionnement. Le progrès de la science est plus important que quelques vies humaines surtout s’il s’agit de mendiants, de prostituées ou autres « créatures » venues des bas-fonds de la ville. C’est l’immense Peter Cushing qui prête ses traits au personnage, assez proche de celui du Baron de Frankenstein qu’il interprétera à cinq reprises dans les films de Terence Fisher. Quant à la dimension sociale du film, elle est présente à travers la peinture assez réaliste d’une époque : belle reconstitution en studio des ruelles et tavernes d’Edimbourg, attention portée aux costumes, au langage… Les antagonismes très forts entre les classes sociales y sont décrits sans concession : la bonne société (le docteur, ses proches, ses étudiants) et le peuple sont deux microcosmes bien distincts, évoluant séparément et que rien ne peut rapprocher si ce n’est un lien purement « commercial » et illégal comme entre le docteur et le duo criminel. La seule tentative d’interaction entre les deux milieux se fait à l’occasion de l’histoire d’amour (assez mélodramatique) entre l’assistant de Knox et Mary, une prostituée. Leur origine sociale trop éloignée et l’extrême dureté de leur environnement vont vouer leur histoire à l’échec le plus tragique.
D’une noirceur et d’un pessimisme assez radicaux (et ce, malgré un revirement moral du docteur Knox un peu artificiel), L’IMPASSE AUX VIOLENCES est une œuvre à part, d’une grande beauté plastique et d’une grande modernité thématique, à ranger quelque part entre les films les plus audacieux de la Hammer et LE VOYEUR de Michael Powell (1960). En 1985, le réalisateur et chef-opérateur de génie Freddie Francis réalisera une nouvelle version des « aventures » de Burke et Hare sous le titre LE DOCTEUR ET LES ASSASSINS, tirée d’un script de Dylan Thomas.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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