Un texte signé Philippe Delvaux

Estonie - 2017 - Rainer Sarnet
Interprètes : Rea Lest,, Jörgen Liik, Arvo Kukumägi, Katariina Unt

Offscreen 2018review

November

Dans une campagne boueuse d’Estonie, d’un passé indéterminé, les tribulations d’un minuscule hameau dont les habitants usent et abusent de sorcellerie et de pactes avec le diable pour leur petites médisances. La jeune Liina y aime Hans qui, lui est subjugué par la nièce du Baron, en visite de son Allemagne natale. Les petites gens pillent sans vergogne un hobereau dégénéré, descendant d’un envahisseur allemand autrefois puissant. Mais les estoniens ne valent guère mieux, dépeints comme voleurs, avaricieux, médiocres… Seule émerge l’amour de Liina, non payé en retour.

Et la voilà, la surprise inattendue de l’Offscreen 2018. Une gemme venue d’Estonie. On dit inattendue car même si le cinéma venu du Nord ou de l’Est livre régulièrement de très belles choses, il ne repose en nos pays que sur peu de marketing et ne génère que peu d’attentes de la part des spectateurs.

La surprise n’en est que plus grande et le plaisir décuplé.

Esthétiquement et thématiquement, NOVEMBER renvoie à la beauté d’un MARKETA LAZAROVA (revu précédemment à Offscreen) ou d’un IL EST DIFFICILE D’ÊTRE UN DIEU (on parle bien ici de la très belle version de 2016, pas la zéderie allemande – au demeurant très sympathique – des années ’80, toutes deux montrées… à Offscreen naguère) : un noir et blanc travaillé dans les moindres détails, une composition d’image au cordeau pour paradoxalement mettre en valeur la laideur, la boue, la salissure dans lesquelles se vautrent la médiocrité humaine et ses petites compromissions. La veulerie humaine s’y additionne, comme dans les deux modèles ici évoqués, aux rapports de classe.

Visuellement, le spectacle est donc total.

Pour en finir avec les références et relier une dernière fois à Offscreen, NOVEMBER peut évoquer certains travaux de Jan Svankmajer dont le dernier opus, INSECTS, clôture le festival. Plus exactement, ce portrait de la laideur, ces masures de bois branlants et de chaume pourri, ces châteaux froids, vides et délabrés se retrouvent dans un large pan du cinéma de l’Est, celui qui mettait en image la déréliction tant de la gestion communiste que ce qui lui a succédé. On pourrait également évoquer d’autres proximités avec THE PLAGUE AT THE KARATAS VILLAGE (Etrange Festival 2016, chroniqué sur Sueurs Froides).

Sur le fond, NOVEMBER étale un fantastique rural dont le substrat se retrouve un peu partout dans le monde, d’Europe en Asie ou Afrique : celui des croyances paysannes habitées de rebouteux, adeptes des filtres d’amour (à base de sueur et de merde, avis aux amateurs), enclins à pactiser avec le diable et si possible à le duper. Le volet estonien n’est guère éloigné des anciennes croyances paysannes françaises.

Tout ce pan du fantastique qui émane du fond des âges et a longtemps survécu en nos contrées. La meilleure référence par chez nous pour vous faire une idée du traitement pourrait se trouver dans l’œuvre dessinée de Jean-Claude Servais.

A noter que le film est adapté du roman de son auteur, et non d’authentiques légendes locales (pour peu qu’on puisse parler d’authenticité pour des légendes), roman qui fut un bestseller en Estonie.

Mention spéciale aux esprits incarnés par magie dans les outils paysans, les « Krats ». Le réalisateur ouvre d’ailleurs son film sur une jolie scène fantastique et passablement effrayante leur faisant la part belle.

Vous ne l’attendiez sans doute pas, mais s’il passe par chez vous, ne ratez pas ce petit bijou estonien. Vous nous en direz des nouvelles.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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