Un texte signé Philippe Delvaux

Italie - 1971 - Giuliano Carmineo [Anthony Ascott]
Titres alternatifs : Gli fumavano le colt... lo chiamavano Camposanto, Bullet for a Stranger, His Pistols Smoked... They Call Him Cemetery
Interprètes : Gianni Garko, William Berger

Dossierretrospective

Quand les colts fument… on l’appelle cimetière

La ville d’Arlington est sous la coupe d’un mystérieux racketteur qui envoie ses hommes de main terroriser les récalcitrants. Au rang de ceux-ci, Georges et John Mc Intire, deux pieds-tendres que leur père a envoyé étudier à Boston et qui s’en reviennent diplômés, certes, mais peu adaptés à la rude vie de l’Ouest. Ils seront pourtant les moteurs de la révolte contre les bandits.

Leurs chance de survie semble nulle… mais apparait bientôt un bienveillant protecteur, l’Etranger, bientôt rebaptisé Cimetière par les habitants. Il prend les deux jeunes gens sous son aile et leur enseigne le maniement des armes.

Mais le racketteur met lui aussi des atouts dans sa main, en engageant le Duke, un autre pistoléro, tout aussi dangereux que L’Etranger.

QUANT LES COLTS FUMENT… est un western de transition. En 1970, Enzo Barboni rebat les cartes du western italien avec ON L’APPELLE TRINITA. Son triomphe public sonne le glas des westerns violents sérieux et ouvre la voie à la veine comique. Une grande partie de la production s’y engouffrera et le western italien entamera une longue descente aux enfers, une grande partie de ces comédies se révélant aussi indigestes qu’indigentes.

Enzo Barboni avait rédigé le scénario de QUAND LES COLTS FUMENT, mais sur un ton sérieux. Désormais catalogué réalisateur de comédie, il décide, pour ne pas déforcer cette nouvelle image commercialement porteuse, d’en céder la réalisation à Carnimeo… qui en transforme le ton pour en faire lui aussi une comédie.
Mais si nous parlions de transition, c’est parce que QUAND LES COLTS FUMENT est à cheval (quoi de plus normal pour ce genre) entre le ton sérieux du scénario initial et les ajouts comiques pour surfer sur l’air du temps. Gianni Garko et Giuliano Carnimeo se montrent très satisfaits du résultat. Nous serons un peu plus circonspects. A l’aune des westerns comiques, souvent navrants, QUAND LES COLTS FUMENT est une bonne surprise, certes, mais il n’en reste pas moins qu’on peut trouver le mélange partiellement inabouti. Et parfois entaché de fautes de goûts du genre de la peinture d’un croque-mort en ce qui ressemble assez fort à un juif avaricieux. On doute que ce genre de caractérisation passe encore la rampe de nos jours.

Par contre certains moments comiques sont bien distrayants, telle la bagarre de saloon, bien chorégraphiée. Quoique téléphoné, le gag de la petite vieille exhibant son pistolet aux citadins désarmés fait également mouche. Il permet d’ailleurs de pointer le premier thème du film, celui de la fascination américaine pour les armes et de la nécessité de celle-ci dans un Ouest encore largement dominé par la loi du plus fort. Assez rapidement abandonnée cependant, cette thématique cède sa place à celle de la transmission quand le pistoléro aguerri enseigne son savoir, un rapport quasi filial puisque Cimetière a un passé commun avec le père des deux jeunes apprentis tireurs. C’est in fine cette thématique qui sera le mieux creusée.

Carnimeo a également ses tics : il réutilise le gag du mitraillé qui s’effondre dans le cercueil, mais surtout il crée un nouveau gimmick pour le Duke : le pliage de son gobelet de voyage signale à tous qu’il s’apprête à tuer. On apprend au détour d’une ligne de dialogue que c’est le seul legs de son père. A l’instar de Cimetière, le Duke a aussi perdu ses parents, sans doute décédés de manière violente.

La patte du scénariste Barboni est reconnaissable entre mille, tant dans la réalisation : on s’y gifle, on joue des accélérés, que dans la distribution qui fonctionne sur le mode des duos. A l’instar du couple Bud Spencer-Terence Hill, QUAND LES COLTS FUMENT propose aussi un duo… ou plutôt une triplette de duos.

Au premier rang, ce sont bien sûr les retrouvailles William Berger – Gianni Garko. Ces deux-là ont déjà travaillé ensembles, mais ici, ils se retrouvent à quasi égalité. William Berger qui était d’ailleurs de l’aventure du premier Sartana a également interprété ce personnage créé par Garko dans une version non officielle (SARTANA DANS LA VALLÉE DES VAUTOURS, Roberto Mauri, 1970). Si on parle de Sartana, c’est que QUAND LES COLTS FUMENT … ON L’APPELLE CIMETIÈRE, sans pouvoir s’inscrire dans la série, veille bien à ne pas trop s’en éloigner. Les Sartana sont des succès commerciaux et Carnimeo, qui en tournera la plus grande partie, reste à proximité de ce personnage, même quand il ne peut en reprendre le patronyme. Ici, Cimetière est cependant moins monolithique que le pistoléro traditionnel du western. On comprend vite ses motivations, lesquelles l’humanisent fortement.

Et si on parle de retrouvailles, c’est aussi que ce film est le premier tournage de William Berger depuis ses six mois de prison pour possession de drogue, incarcération durant laquelle son épouse meurt en cellule des suites d’une infection mal diagnostiquée et soignée. Eprouvé, l’acteur retrouve cependant le chemin des plateaux.

Mais, on l’a dit, deux autres couples de personnages permettent de varier les plaisirs : les deux frères nouvellement débarqués dans l’Ouest sauvage, et Pedro et Chico, les deux serviteurs peones qui les chaperonnent. Les premiers forment la base comique qui repose sur des personnages plongés dans une culture étrangère qu’ils doivent apprivoiser. On retrouve ce mécanisme comique en 1968 dans la bande dessinée Le pied-tendre de la série Lucky Luke. Les deux serviteurs incarnent quant à eux le personnage roublard, hâblé, auquel le western italien a si souvent associé les mexicains. Ici, pour une fois, ils sont du côté des gentils.

Enfin, si QUAND LES COLTS FUMENT est pleinement un Carnimeo, et si on y sent l’influence de Barboni, on ne peut s’empêcher d’y voir également une allusion au Sergio Leone fondateur du genre, lorsque le final mettra en scène un duel réglé circulairement et qui se transforme in extremis en duel à trois, le tout pour un enjeu monétaire, ce qui n’est pas sans rappeler le climax dans LE BON, LA BRUTE ET LE TRUAND. Quelques années plus tard, Sergio Leone prendra à son tour la mesure de l’évolution du genre en produisant lui aussi des westerns comiques, dont MON NOM EST PERSONNE, réutilisant le Terrence Hill sacré par Barboni.

Avant d’en terminer, il nous faut louer ici la superbe partition de Bruno Nicolai, très « morriconnienne » et qui restera un des grands moments de la musique italienne de western.

Pour l’anecdote, quelques plans de l’assaut final contre un couvent abandonné où sont réfugiés nos héros déploient la grammaire de la caméra subjective, entourée de deux révolvers abattant les assaillants qui s’approchent… des images « point of vue » qui ne dépareraient pas dans un shoot’em up de jeux vidéo.

Sorti en ciné roman sous le titre « Ses colts brulaient, on l’appelait Cimetière », QUAND LES COLTS FUMENT… ON L’APPELLE CIMETIÈRE a atteint les salles françaises le 23 août 1972.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link