Un texte signé Jérôme Pottier

Japon - 1970 - Teruo Ishii
Titres alternatifs : Kaidan Nobori Ryu
Interprètes : Meiko Kaji, Hoki Tokuda, Makoto Sato, Toru Abe, Tatsumi Hijikata, Yoko Takagi, Ryohei Uchida

retrospective

The Blind Woman’s Curse

A la fin des années 60, Teruo Ishii vient définitivement d’acquérir son statut de réalisateur culte avec deux œuvres inclassables, l’excellent FEMMES CRIMINELLES (1968) et le moins bon L’ENFER DES TORTURES (1969). Respectivement deuxième et quatrième volet d’une série de huit films tournés entre 1968 et 1973, JOYS OF TORTURE, ces deux pelloches nous décrivent avec moult détails et quelques partis pris esthétiques audacieux des plaisirs que n’auraient pas reniés Sacher Masoch. Très prolifique, le docteur es supplices met en scène quatre bobines en 1970 dont un film de chambara atypique THE BLIND WOMAN’S CURSE…

La belle Akemi Tachibana, en vengeant son père, blesse involontairement la sœur du chef de clan qu’elle vient de trucider. Cette dernière, touchée aux yeux, voit son sang léché par un étrange chat noir qui passait par là. Akemi est, dès lors, persuadée d’être victime d’une malédiction. D’autant plus qu’en ville, une étrange aveugle qui manie le couteau avec dextérité, fait un numéro remarqué dans un cirque. C’est alors qu’au milieu d’une guerre des clans sans concession les Tachibana se voient décimés et dépecés de leurs tatouages dorsaux…

Attention : film barré ! THE BLIND WOMAN’S CURSE, autrement dit « la malédiction de la femme aveugle », est un véritable objet filmique non identifié. Bien que très bancal, ce métrage réserve son lot de surprises. Teruo Ishii ne pouvait se contenter de mettre en scène un chambara classique, il y ajoute, à travers toute une galerie de personnages frappadingues, une pincée de fantastique doublée d’une sérieuse dose d’humour macabre.
Ainsi, le cirque ambulant est un véritable repaire de freaks où s’entassent les cadavres et autres têtes décapitées. Un bestiaire digne du génial manga le plus malsain qui soit, MIDORI, réalisé en 1992 par Hiroshi Harada. Véritable hymne à la laideur, cette galerie de sales trognes est dominée par deux seconds rôles singuliers, un chef de clan malodorant qui se ballade sans cesse avec les fesses à l’air et un bossu hirsute et félin qui lèche le sang des macchabées. Tous ces personnages, alliés à un sens aigu de l’absurde et du grotesque, ont fortement influencé un certain Takashi Miike. D’ailleurs, IMPRINT (2006), son épisode réalisé pour l’anthologie MASTERS OF HORROR (saison 1), est un hommage évident à la série des JOYS OF TORTURE.
Teruo Ishii se révèle beaucoup plus inspiré par les scènes délirantes (ah cette poursuite du chat noir !) que part les scènes d’action (malgré une intro somptueuse) et de dialogues, très plates. Il compense son manque d’aisance technique dans le filmage de la castagne avec une surenchère dans le gore ainsi que l’utilisation de magnifiques décors peints lors du final. Mais c’est bien la folie douce qui imprègne ce long métrage que retiendra le cinéphile, sans oublier, bien sûr, la qualité de l’interprétation.
Le casting est dominé par la sublime FEMME SCORPION (1972), Meiko Kaji, dont c’est le premier film en vedette. Malheureusement, le côté décousu du script, qui la fait parfois disparaître de l’écran pendant plus d’un quart d’heure, la dessert quelque peu. Toutefois, lorsqu’elle lance quelques uns des regards glaçants dont elle a le secret, sa face de granit est déjà celle qui illuminera la série des LADY SNOWBLOOD (1973-1974). Loin de n’être qu’une jolie frimousse (le contraire de ses nombreux clones qui disparaîtront vite de la circulation), Meiko Kaji est une excellente actrice qui gagna de nombreux prix d’interprétation. Elle tourne désormais essentiellement pour la télé nippone. Hoki Tokuda, également chanteuse, campe la femme aveugle. Elle est parfaite, la plus vénéneuse de cette galerie de freaks, très crédible en « bretteuse » aveugle, version féminine du ZATOÏCHI immortalisé par Shintaro Katsu. Hoki Tokuda ne tourna que trois films, celui-ci constitue sa dernière apparition, elle est surtout connue pour avoir été la femme du célèbre écrivain Henry Miller de 28 ans son aîné.

THE BLIND WOMAN’S CURSE, s’il conserve de grands défauts de linéarité propres à tous les films de Teruo Ishii, n’en demeure pas moins une œuvre inclassable, l’un des seuls exemples de chambara sadien et forain. La folie qui imprègne cette histoire de vengeance teintée de fantastique est celle d’un réalisateur rebelle. A l’image de son digne successeur, Mister Miike, il est insoluble dans la politique des grands studios, ici en l’occurrence la Nikkatsu. Chacun de ses longs métrages, même le plus impersonnel, porte la trace de son esprit joyeusement dérangé. THE BLIND WOMAN’S CURSE en fait partie, il serait donc bête de passer à côté de cette malédiction qui poursuit la charmante Meiko Kaji.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Jérôme Pottier

- Ses films préférés :

Share via
Copy link