Un texte signé Philippe Delvaux

Offscreen 2015review

The tribe

Un jeune sourd-muet intègre un orphelinat spécialisé où règne la violence. Très vite, il est intégré à un groupe de condisciples délinquants. Entre autres vols avec violence, il accompagne également les deux jeunes sourdes muettes qui se prostituent auprès de camionneurs, sous la houlette d’un enseignant qui arrondi lui aussi ses fins de mois en tant que souteneur. Un comparse de ce dernier fait miroiter aux adolescentes un exil en Italie pour continuer à se prostituer. Les démarches pour le passeport et le visa avancent, mais, amoureux d’une des adolescentes, le jeune homme va tout faire pour empêcher son départ.

THE TRIBE a fait l’événement à la Semaine de la Critique à Cannes en 2014, où il récoltait le Grand Prix et le prix Révélation. Il a entamé ensuite une longue tournée de festivals, précédé d’une réputation flatteuse et d’un argument intriguant.

Situé dans l’univers des sourds-muets, le film se passe autant de dialogues que d’intertitres, sous-titres ou autres voix off. Tout passe donc par l’image et la mise en scène et c’est à celles-ci et à elles seule de nous faire comprendre ce qui se dit entre ces jeunes qui utilisent exclusivement le langage des signes.

Et à vrai dire, l’exercice fonctionne fort bien. Certes, on ne peut tout saisir des propos tenus, mais c’est justement dans cette incompréhension partielle que se retrouve une partie de l’intérêt du film. Il nous interroge sur notre rapport à l’autre, sur l’exercice de la communication, et sur le médium filmique comme support du discours.

On peut rapprocher THE TRIBE de la période du cinéma muet, dont les intertitres ne traduisaient pas intégralement, loin de là, tous les propos échangés par les acteurs. Le processus est ici radicalisé par l’absence complète des intertitres et nous oblige donc à nous concentrer d’autant plus sur l’image, le contexte, les interactions. Plus que dans un film classique, le spectateur doit ici se concentrer pour saisir la nature des enjeux. Plongé dans THE TRIBE, il en ressent mieux le propos.

Ce dispositif souligne l’enjeu du medium cinéma qui, plus sans doute que le théâtre classique et sans cependant dépouiller complètement le texte, appuie souvent le sens par le biais de l’image.

En dehors de ces enjeux, le drame qui se noue à l’écran est lui-même parfaitement maitrisé et passionnant. Il développe l’abandon par une société d’une frange de ses marginaux, handicapés. Abandon qui transparait en filigrane seulement, car un orphelinat spécialisé accueille bien ces jeunes, mais de celui-ci, on ne saura presque rien. Tout au plus quelques plans situé en dernière partie nous montrent que les jeunes hommes y apprennent un métier manuel. Le mystère restera entier quant à l’éducation prodiguée aux filles. Les murs lépreux, les grilles, les chambres spartiates font penser, si pas à une prison, du moins à une institution figée dans un passé auquel de surcroit elle a abandonné les éventuelles et hypothétiques splendeurs. L’orphelinat semble plus un endroit où sont parqués les jeunes. Ces bâtiments sans âme et dégradés sont un écho à la déréliction morale de la société dépeinte. Le corps professoral en est étrangement absent. Les adultes les plus en relation avec ce monde sont les proxénètes qui profitent des jeunes filles.

Les jeunes s’ébrouent dans ce dur monde sans cependant s’émouvoir outre-mesure de leur sort. Ils intègrent la violence comme partie intégrante de leur vie. Les filles n’ont pas de problèmes moraux à vendre leur corps. La peinture est cruelle et désabusée. Aussi, l’irruption d’un peu d’humanité – les sentiments de notre héros pour sa condisciple – dans ce monde qui en manque tant provoquera-t-elle le grippage de cette mécanique de la cruauté.

En France, après Cannes, THE TRIBE a notamment été présenté à l’Etrange festival avant de sortir le 1er octobre. En Belgique, il aura été programmé aux festivals de Gand 2014 et à Offscreen 2015, écrin parfait pour ce type d’objet. Il a connu une sortie belge limitée à Gand.

Retrouvez nos chroniques d’Offscreen 2015


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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