Un texte signé Philippe Delvaux

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The mole song : undercover agent Reiji

Dernier de sa promotion et spécialiste de l’accumulation de gaffe, l’agent de police Reiji est mis à la porte de la police… du moins en apparence, car ses supérieurs veulent en réalité le voir infiltrer un clan de yakuzas pour mieux le démanteler. Aussi Reiji s’attire-t-il les faveurs de Papillon, un yakuza aussi bagarreur qu’old school. Pétri des valeurs classiques des voyous, Papillon refuse que son clan touche au trafic de drogue, mais Reiji, qui s’est pris d’amitié pour lui, comprend vite qu’au-dessus de Papillon, les chefs de clans sont bien plus pragmatiques et sensibles à l’appât du gain que constitue le trafic massif d’ecstasy. La mission de Reiji ne serait pas si compliquée s’il n’était devenu en sus la cible d’un clan concurrent qui cherche à déclencher une guerre mafieuse pour le contrôle des territoires et des marchés. Et pour parfaire le tout, le reste de la police, resté dans l’ignorance du rôle réel de Reiji, le recherche activement pour meurtre.

Stakhanoviste des temps modernes, Takashi Miike enfile les films à la chaine. S’il a légèrement réduit la voilure – dans les années ‘90, le bonhomme pouvait enquiller 7 longs métrages consécutivement, il n’en reste pas moins encore très actifs de nos jours. En avril 2014, le BIFFF programmait le très bon SHIELD OF STRAW, l’Etrange Festival suivait en septembre par OVER YOUR DEAD BODY, en novembre, Rome s’octroyait la première européenne de AS THE GODS WILL … et revoici déjà notre japonais fou de retour avec THE MOLE SONG : UNDERCOVER AGENT REIJI, programmé à Offscreen 2015 (Rome 2013 s’était ceci dit déjà offerte la première européenne). Et quelques jours avant la projection à Offscreen sortait sur les écrans japonais son THE LION WHO STANDS IN THE WIND, tandis que Miike travaillait à la post production de YAKUZA APOCALYPSE: THE GREAT WAR OF THE UNDERWORLD (prévu pour le 20 juin 2015 au Japon) et à la pré production d’un TERRA FORMARS attendu pour 2016. Sacré Miike, va, il nous enterrera tous !

Et que nous vaux THE MOLE SONG ? Eh bien, cette nouvelle livrée se révèle un de ces divertissements japonais de bon aloi, adaptation gouleyante d’un manga, menée tambour battant. Miike maitrise mieux qu’auparavant son rythme, pour notre plus grand plaisir.

Sa limite est celle du genre même : une adaptation de manga, en l’occurrence, d’une série signée par Noboru Takahashi, démarré en 2005 et toujours en cours, et qui compte déjà 33 volumes.

On va pointer ici le problème majeur ressortant tant de la culture geek que de la production industrielle désormais érigée en licence globale transmedia : celle du sacro-saint « matériau d’origine », dont le respect confine dorénavant au carcan. Nombre de réalisateurs adaptent bien moins qu’ils ne transposent servilement le moindre dessin, la moindre ligne de texte. Et gare à lui s’il touche à la coupe de cheveu du héros, la communauté geek est là pour les couper en quatre et crucifier le blasphémateur. Le fait de déployer désormais la moindre idée à la fois en livre, bd, film, jeux vidéo, apps et gadgets divers ne permet à notre sens plus à un univers de s’adapter parfaitement à un média spécifique. Ainsi, pour les mangas, utilisant les codes narratifs de la bande dessinée et qui déploient leur histoire sur la longueur, la transposition cinéma est souvent douloureuse. Un film limité à 2 heures nécessite pourtant de ramasser les enjeux, les personnages, les péripéties…

Dans THE MOLE SONG, le côté BD s’exprime par l’outrance des personnages, de leur attitude ou par leur accoutrement, sans cependant qu’on s’éloigne trop du ton de certaines comédies décalées.

Ce qui est plus embêtant, c’est qu’à l’issue d’un film qui dure quand même plus de deux heures, le héros n’ait même pas affronté l’ennemi qu’on lui avait désigné. On voit bien ici que le scénario est pensé pour une suite. C’est d’ailleurs patent pour ce qui concerne Junna (jouée par Riisa Naka, la Zebra Queen du ZEBRAMAN que Miike réalisait en 2010), la petite amie policière de Reiji, narrativement non utilisée dans THE MOLE SONG et qui est l’exemple type d’un personnage qui aurait dû être coupé à l’écriture ou au moins au montage, n’était-ce un placement pour une future suite dans lequel son rôle s’étofferait. Bref, pour être pleinement réussi, THE MOLE SONG aurait pu épurer et raccourcir. Mais rien ici de bien grave.

Car hormis cette critique moins portée sur le film que sur le système qui l’englobe, THE MOLE SONG est parfaitement distrayant. On ne s’ennuie pas une seconde des péripéties de Reiji. On s’intéresse même au basculement progressif qui voit ce policier s’attacher sincèrement à Papillon, son mentor yakuza. Dans une veine plus sérieuse, d’autres films ont très bien creusé ce monde des infiltrés, qui ne peut faire l’impasse des relations qui se nouent entre infiltré et criminels et qui soumettent les premiers à un dilemme moral et les placent dans une situation inconfortable. Ce type de questionnement est ici effectivement esquissé, mais reste néanmoins de surface, laissant la primauté au divertissement léger.

Moins tendu que SHIELD OF STRAW, moins riche qu’OVER YOUR DEAD BODY, THE MOLE SONG reste cependant un bon petit Miike, mais dans la veine des films aussi distrayants qu’oubliables. Un film popcorn, à voir dans la foulée du TOKYO TRIBE de Sono Sion qui, et ne n’est pas une coïncidence, était lui aussi de la partie à Offscreen 2015.

Retrouvez nos chroniques d’Offscreen 2015


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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