Un texte signé Jérôme Pottier

Japon - 1972 - Ikehiro Kazuo
Interprètes : Yoshio Harada, Ryunosuke Minegishi, Katsuo Nakamura

retrospective

Trail of Blood

Jokichi est un yakuza errant originaire de Mikogami et craint par tous les gredins que comptent les plaines de Kanto. Il est recueilli par une femme qui lui soigne un début d’infection à l’orteil. Il la sauve ensuite des griffes d’une bande de yakuzas qui tente de la violer. Il l’épouse, lui fait un enfant et devient forgeron, renonçant par la même occasion à la violence. Il est malheureusement rattrapé par son passé quand trois chefs mafieux violent sa bien-aimée, la tuent puis assassinent son fils Kitaro. Ces assassins le réforment officieusement de l’ordre des yakuzas et lui écrasent à coups de manche de hache deux doigts de la main gauche. Jokichi, abattu, se les tranche lui-même. Les bandits le laissent pour moribond, amputé physiquement et moralement. Ils ne se doutent pas que ce dernier va se forger trois ongles tranchants pour compenser son handicap et repartir au combat avec un seul mot d’ordre : vengeance !
A lire ce synopsis, on peut penser avoir affaire à un chambara stéréotypé, avec un héros humilié au bras vengeur… Mais ce TRAIL OF BLOOD (la traînée de sang) se distingue par son personnage principal, sorte de mort-vivant au regard éthéré et au comportement parfois troublant. En effet, au début de ce long-métrage, Jokichi est proche d’un samouraï au grand cœur, lorsqu’il sauve un homme et son fils rackettés par un cancrelat (alors qu’il croise un autre samouraï borgne complètement indifférent), puis qu’il épouse la femme frivole qui le soigne car il l’entend penser tout haut à la joie que lui procurerait une vie de famille. On peut même le voir heureux (bien aidé par le saké, il est vrai) lorsqu’il éduque son bambin. Mais dès que la vengeance prend possession de son âme, il déambule tel un zombie, répandant alors autour de lui la violence. Seule lui importe encore la mise à mort des trois chefs de clans qui l’ont détruit.
On peut bien sûr rapprocher ce personnage de celui d’Ogami Itto (BABY CART), à la différence près que Jokichi est déjà mort et peu soucieux du sort de ses congénères. Il est régulièrement ramené à l’ordre par une sorte de personnage miroir qui lui renvoie son reflet inversé. Dans les deux premiers volets de la MIKOGAMI TRILOGY celui-là est un samouraï borgne, tout autant bourreau que sauveur. Et ce dernier s’évertue à faire le contraire de Jokichi, ainsi il apparaît comme un mercenaire veule quand Jokichi fait preuve de bravoure, puis les rôles s’inversent. Mais cela ne suffit pas à insuffler la moindre humanité à Jokichi, froid, imperturbable et calculateur ; il n’est qu’un monstre assoiffé de vengeance.
Magnifiquement campé par Yoshio Harada, un acteur toujours en activité aujourd’hui, qui élimine toute émotion dans son jeu dès lors que ses proches se sont éteint, le personnage de Jokichi est tétanisant. C’est assez fascinant de voir à quel point le visage de l’acteur est dénué de la moindre expression. La dernière scène durant laquelle il nous émeut est celle où il se couche, en larmes, sur les corps ensanglantés de sa famille. Le sang se mélange à une ceinture de toile rouge qu’il n’aura de cesse de porter lorsqu’il met à mort ses ennemis. Il arbore ensuite un regard livide et cela malgré les opportunités qui se présentent à lui pour refaire sa vie. Cet interprète prolifique est surtout connu en Occident pour avoir tenu le rôle masculin principal de l’excellent LADY SNOWBLOOD 2 (Toshiya Fujita-1974). Il préfigure ici des personnages tel que celui campé par Clint Eastwood (qui, comme tous les grands du western, ne cache pas son amour du cinéma japonais) dans le film qu’il réalise l’année suivante : L’HOMME DES HAUTES PLAINES.
La mise en scène de TRAIL OF BLOOD est signée du grand Ikehiro Kazuo, un habitué de la série classieuse des ZATOÏCHI. En dehors de la très belle scène déjà décrite où Jokichi retrouve les siens morts, parfait exemple de l’utilisation de la géométrie dans un plan (le tout associé à un grand art du montage), Kazuo livre quelques morceaux de bravoure. Ce long métrage est le plus naturaliste de la série : les pierres et la verdure constituant la majeure partie des décors pugilistiques, on peut y lire un affrontement entre le minéral et le végétal. Jokichi est amené à faire parler le sang à de nombreuses reprises contre un nombre incalculable d’ennemis et ce, lors de scènes parfaitement chorégraphiées. Kazuo signe quelques plans séquences qui influenceront certainement le style de Liu Chia-Lang (LES HUIT DIAGRAMMES DE WU-LANG-1984) qui, lui aussi, éludera les plans de coupe au profit de scènes de combat longuement préparées. En bref, même si ce TRAIL OF BLOOD n’égale pas les meilleures séries du genre, il n’en demeure pas moins un excellent film d’exploitation qui recycle habilement les poncifs inhérents au genre. Ikehiro Kazuo réalise la même année le second volet de cette trilogie : THE FEARLESS AVENGER.

Cliquez ici pour lire l’article sur The Fearless Avenger


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- Article rédigé par : Jérôme Pottier

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