Un texte signé Patrick Barras

review

Vampires en toute intimité

Quatre vampires « old-school » soumis aux vicissitudes de la cohabitation en collocation, au coeur d’une époque qu’ils ont de plus en plus de mal à cerner, ou quand le mythe entre en collision avec l’écueil du prosaïque et du quotidien… Quotidien qui va se retrouver un tant soit peu chamboulé par l’arrivée d’un petit nouveau.

À la vision de VAMPIRES EN TOUTE INTIMITÉ / WHAT WE DO IN THE SAHDOWS, réalisé en 2012, on ne pourra peut être s’empêcher de se remémorer le VAMPIRES de Vincent Lanoo, datant De 2010. Les deux films adoptant le même parti pris formel, celui du faux documentaire. Rechercher la primeur et donc la légitimité de la paternité de l’idée est en soi assez vain. Il n’est juste pas étonnant qu’elle ait pu germer à deux reprises dans l’esprit des réalisateurs des deux opus, en si peu de temps, durant une période où le found footage se décline à l’envi et est en passe de devenir un (sous) genre à part entière. Période qui connait également un regain d’intérêt pour le mythe vampirique, au sein de séries TV notamment.

Certains esprits chafouins et tatillons pourront cependant trouver leur compte en se disant que VAMPIRES EN TOUTE INTIMITÉ est de toute façon construit sur les bases d’un court métrage tourné en 2006 par ses deux réalisateurs, Jemaine Clement et Taika Waititi. Petit film amusant, esquissant déjà les personnages principaux qui nous sont actuellement donnés à voir, mais qui cinématographiquement parlant et faute de moyens avait du mal à s’élever au dessus du niveau d’un sketch des inconnus.

Quoi qu’il en soit, VAMPIRES EN TOUTE INTIMITÉ est une friandise relativement délicate que chacun pourra déguster et savourer en fonction de l’exhaustivité de ses références vis à vis du genre et du mythe vampirique. Basé sur les principes du qui aime bien châtie bien et de la parodie ouvertement compulsive (exercice auquel bon nombre se sont essayés bien avant avec plus ou moins de talent, de réussite et de bonheur), le métrage ne néglige aucun élément de la mythologie ou du folklore des suceurs de sang que tant d’oeuvres mémorables nous ont rendus familiers (ail, crucifix, miroirs, et tant d’autres…).
Cela débute même par la galerie de personnages qui nous est proposée, où l’on n’oublie pas les figures emblématiques qui ont pu nous marquer et nous transformer en fans du genre : Un Petyr/Bernard copie conforme de Nosferatu, Viago/Aymeric qui se donne des airs de dandy à la Lestate, Vlad/geoffroy en figure du célèbre empaleur père de tous les vampires… Jusqu’à JC, le petit newbie grand gueule qui fait le lien avec des séries comme TRUE BLOOD, histoire de convenablement boucler la boucle…

Mais l’élément le plus important abordé demeure, une fois de plus, la condition même du vampire, puisqu’il nous est proposé de pénétrer son intimité. Alors que la promesse de l’immortalité et de pouvoirs hors du commun, la perspective d’être un personnage romantique sombre et solitaire hantent toujours l’esprit des humains, le constat est hélas au bout du compte le même que dans bon nombre de films du genre : Tout passe, tout lasse. Ce que nous laisse entendre ce bon vieux Vlad pour qui la torture, au fil du temps, est passée du stade de véritable passion à celui de passe-temps occasionnel.
Ne reste plus alors à nos vampires que la gestion terriblement répétitive et rébarbative de contingences matérielles, sources de petits conflits au sein de la communauté : Trouver à se nourrir, se cacher et se protéger en faisant le moins de vagues possible… Et organiser des tours de ménage afin d’avoir un intérieur qui rebute le moins possible les proies potentielles. Quitte à ce que le dandysme en prenne un coup dans l’aile en se transformant en maniaquerie ménagère. Enfin aussi, tenter tant bien que mal de s’ennuyer le moins possible, de vaincre la routine et de se trouver une petite place dans notre monde et notre époque. Sortir et essayer maladroitement d’arriver à entrer en boite de nuit… Ce qui relève de la gageure quand on est décalé au possible au point de vue vestimentaire (mais pas que…) et tenant compte du fait qu’un vampire ne peut pénétrer un lieu que s’il y est invité (mythe oblige, une fois de plus).
Décalés, nos vampires le sont bel et bien. Ce qui rend le film d’autant plus savoureux. Une belle équipe de bras cassés qui au bout de décennies et de siècles n’est toujours pas fichue de jouer correctement de la musique en groupe, dont les pouvoirs s’émoussent parfois, dans une sorte d’ « andropause vampirique » dont semble victime Vlad… Une belle brochette à qui un simple humain fait découvrir internet, les réseaux sociaux et du coup les perspectives vivrières qu’ils peuvent offrir à nos soiffards. Et que dire des humains qui les envient et les servent ? Ici l’équivalent féminin du Renfield de Bram Stoker se retrouve au rang d’une banale aide ménagère, rôle qu’elle combine éventuellement avec celui d’assistante sociale pour ces inadaptés chroniques, espérant en retour une immortalité, sans cesse reportée, pour fuir une vie de famille qu’elle trouve morne comparée à celle de ses « employeurs ».
Notre époque n’aurait-elle que les vampires qu’elle mérite ?…
Hormis les entrées en boite que leur procure JC, fraichement converti mais qui à force d’être trop bavard se révèle une source potentielle d’ennuis, et la perspective d’une fête annuelle façon BAL DES VAMPIRES, force est de reconnaître que l’on s’emmerde ferme chez les vampires.
En tout cas pas nous en tant que spectateurs…
Qui plus est le tout est filmé et joué de manière plus qu’honorable (les auteurs s’étant réservé deux des rôles principaux), avec des effets spéciaux peu nombreux, discrets mais convaincants et juste ce qu’il faut d’hémoglobine. À la votre ! Et chose appréciable, le métrage ne bascule pas vers certains tics agaçants du (mauvais) found footage avec effets de caméra portée hystérique.

À propos d’esprits chafouins et tatillons, on pourrait trouver que la version française mise copieusement en avant est un rien « branchée-mercantile », faisant appel à des figures reconnues en matière d’humour décalé soigneusement triées (Alexandre Astier, Nicolas et Bruno, Fred Testot…) et transposant l’action du film de Wellington à Limoges (???) – entreprise qui trouve d’ailleurs sa limite quand les policiers qui interviennent de nuit chez les vampires sont loin de ressembler à nos « Cruchots » ou à nos policiers en uniforme et portent celui, plus exotique, du flic Néo-Zélandais… Volonté supplémentaire de décalage ?
Toujours est il que les deux versions se regardent au bout du compte avec le même plaisir. À chacun de voir, donc.


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- Article rédigé par : Patrick Barras

- Ses films préférés : Il était une fois en Amérique, Apocalypse now, Affreux, sales et méchants, Suspiria, Massacre à la tronçonneuse

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