Un texte signé Philippe Chouvel

Japon - 1968 - Teruo Ishii
Titres alternatifs : Tokugawa onna keizu
Interprètes : Teruo Yoshida, Fumiko Miura, Kyoko Mikage, Yoshiko Nakamura, Keiko Kuni

retrospective

Vierges pour le shogun

Dans la province d’Edo, on dit que le shogun, le seigneur Tsunayoshi, vit dans son château entouré d’un harem de trois mille vierges. Lors d’une cérémonie rituelle, la danse des nouvelles arrivées, il est attiré par une fille possédant un grain de beauté à la cuisse gauche. Celle-ci, Omitsu, va très vite s’attirer l’inimitié des favorites du shogun, d’autant plus qu’Omitsu n’est qu’une simple servante. De plus, le harem de Tsunayoshi est divisé en deux clans : celui d’Edo, et celui de Kyoto, de sang royal. Les deux factions font preuve de toutes les bassesses possibles pour s’attirer les faveurs du shogun, et faire en sorte qu’une des leurs tombe enceinte et donne un héritier à celui-ci. Dans ce lieu où la séduction fait partie du quotidien, d’importants intérêts politiques sont en jeu.
VIERGES POUR LE SHOGUN est le premier volet de la série des « Joys of Torture », ayant pour cadre le Japon de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe. La saga se déroule essentiellement dans la ville d’Edo, et s’intéresse aux Tokugawa. Cette dynastie de shoguns dirigea le pays à partir du début du XVIIe siècle, et ce pendant près de trois cents ans. Son règne s’apparente à la période Edo, qu’elle choisit comme capitale au détriment de Kyoto.
Cela dit, VIERGES POUR LE SHOGUN n’est pas un film historique. Il a été réalisé par Teruo Ishii, cinéaste prolifique mort à Tokyo en 2005, et qui débuta dans la mise en scène à la fin des années 1950. Si on lui doit pas mal de films de science-fiction (notamment la série SUPER GIANT), Ishii s’est essayé au cours de sa vie à de nombreux genres, mais c’est à travers le courant ero guro (mélange d’érotisme et d’horreur « grotesque ») qu’il s’est fait le plus connaître. La série des « Joys of Torture » (huit films au total, de 1968 à 1973) est donc considérée comme initiatrice du mouvement ero guro au cinéma, même si Ishii s’est inspiré des ouvrages de l’écrivain Edogawa Ranpo (Hirai Tarô de son vrai nom), dont le réalisateur admirait le travail.
Pourtant, ce premier opus paraît bien pauvre autant en ce qui concerne l’horreur que l’érotisme. VIERGES POUR LE SHOGUN s’apparente plus au drame qu’aux deux genres précités. Ishii s’attarde essentiellement sur le personnage du shogun, interprété par Teruo Yoshida, acteur fétiche du réalisateur. Le portrait de cet homme, personnage le plus puissant du pays, et pourtant terriblement impuissant (dans le sens moral) face aux diverses manipulations des femmes de son harem, n’en est pas moins intéressant. L’œuvre d’Ishii prend toute sa mesure dès lors que le shogun perd sa confiance envers les femmes. Il possède le pouvoir, il est riche, et peut posséder n’importe quelle femme, mais à la suite d’une série de mensonges et de trahisons, le doute s’empare de lui et ne va plus le quitter. D’un tempérament noble et loyal, son comportement hautement estimable va peu à peu se détériorer, jusqu’à provoquer des tragédies au sein de personnes pour qui il avait pourtant la plus haute estime.
Finalement honteux de son attitude, il voudra se faire pardonner, mais son désir de rédemption le conduira à sa perte.
Il ne faut donc pas s’attendre à voir des tortures en série, ni des scènes de sexe torrides dans ce VIERGES POUR LE SHOGUN, mais plutôt un drame aux multiples ressorts psychologiques, dans lequel la beauté et la richesse des décors et des costumes masquent la noirceur des âmes de la plupart des protagonistes. Les amateurs de déviances en tous genres risquent d’être déçus, et devront attendre les volets suivants des « Joys of Torture » pour trouver un produit plus conforme à leurs attentes.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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