Un texte signé Philippe Delvaux

- 1969 - Jesus (Jess) Franco
Titres alternatifs : 99 women, Les brûlantes, L'amour dans les prisons des femmes, Der heiße Tod
Interprètes : Maria Schell, Luciana Paluzzi, Mercedes McCambridge, Herbert Lom, Maria Rohm, Rosalba Neri

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99 femmes

Des jeunes femmes sont envoyées au pénitencier Castillo de la muerte, au milieu du Pacifique, dirigé de main de fer par la directrice Diaz, qui n’hésite pas à abuser sexuellement des prisonnières. Marie, le numéro 99, est sa proie favorite. Mais devant la série de morts inexpliquées au sein de l’île, le gouvernement diligente une enquête. La jeune inspectrice Léonie est chargée de faire un rapport.

Produit en 1968 par Harry Allan Tower, 99 FEMMES fait partie des films matriciels de Jess Franco. Une histoire sur laquelle il reviendra encore et encore au fil de sa carrière, poussant par la suite les curseurs du possible en fonction du cadre de production et de la sensibilité de l’époque.

Bénéficiant d’une production modeste mais professionnelle, le film est magnifique. Bien photographié, scénarisé, monté, réalisé, interprété, tout concourt à la réussite de l’ensemble.

Si le film de femmes en prison lui préexistait, c’est véritablement avec 99 FEMMES que le genre se codifie : le crêpage de chignon entre détenues, le décrassage des prisonnières, la moiteur et la sueur, la cellule d’isolement, la promiscuité, les mauvais traitements, l’inhumanité, la tentative d’évasion, la rébellion, le tout bien entendu dans quelque endroit perdu d’une république bananière innomée… On y cerne aussi les protagonistes qui reviendront assez systématiquement dans toutes les déclinaisons : l’héroïne innocente enfermée, les autorités corrompues, la gardienne/directrice sadique, l’unique membre du personnel carcéral doté d’humanité, les capo et traîtresses, la victime… Un vrai cahier des charges s’élabore sous nos yeux. Il fera florès.

Une fois encore, la musique est signée par Bruno Nicolai, alors en pleine possession de son art et qui aura livré de mémorables partitions pour les Jess Franco de cette période. Elle avait d’ailleurs été exhumée en 2005 et magnifiquement éditée par Digitmovie.

En l’espèce, le thème chanté évoque même d’assez près l’univers du western italien, pour lequel Nicolai aura beaucoup œuvré à cette époque. Et 99 FEMMES peut d’ailleurs faire penser, du moins au début, à un western italien : notez au début ces gros plans sur les yeux, certains plans larges et le départ du cercueil, motifs récurrents du western. Si on substitue à la petite ville éloignée et sous la coulpe de malandrins cette prison tout aussi isolée sous la férule du gouverneur et de la directrice. S’en vient alors l’étranger pour rétablir l’ordre /s’en vient alors notre contrôleuse pour rétablir l’ordre… sauf que contrairement aux westerns italiens classiques, la justice ici ne triomphe pas.

Et bien entendu, le point de vue n’est pas celui du personnage de Maria Schell, mais bien du n°99. Soit le point de vue de la victime dont est ici présenté le martyre. En ce sens, 99 FEMMES a en fait bien plus à voir avec LES INFORTUNES DE LA VERTU, dont il offre une transposition de l’épisode du couvent plus satisfaisante que dans l’adaptation de Sade. Jess Franco en prendra conscience et reviendra encore et encore aux Women in prison… et aux adaptations de Sade. Le final de 99 FEMMES qui [attention, spoiler] refuse de sacrifier au happy-end, est d’ailleurs bien plus satisfaisant que celui de JUSTINE.

99 FEMMES offrent donc un univers entièrement dédié aux relations de domination et soumission, qui sont le principal rapport entre protagonistes : ce jeu se joue bien entendu entre gardiens et prisonnières, mais aussi entre prisonnières, voire en filigrane entre la directrice et le gouverneur Dos Santos.

Et si cet univers n’est pas masochiste, il est en revanche pleinement sadique. A celui des personnages correspond celui de la réalisation qui la met complaisamment en scène. Et surtout, tout en restant soft, Jess Franco compose plusieurs très belles séquences érotiques.

Pourtant, au final, le résultat reste étonnement sobre, au regard de ce qu’on pourra voir dans les années qui suivent. Premier film du genre, époque encore frileuse et production « cossue » de série B, il n’est pas encore temps de s’abandonner aux instincts les plus bas.

La situation évoluera pourtant très rapidement partout dans le monde occidental (en Asie, ou du moins au Japon, le spectacle de la violence est alors déjà très décomplexé comme en témoigne la série des FEMMES CRIMINELLES, contemporaine de 99 FEMMES ou des INFORTUNES DE LA VERTU). Aussi, quand le film trouve sa distribution en France quelques années après sa production, il n’est déjà plus en phase avec les attentes d’un marché qui s’est entre temps ouvert à la pornographie. Aussi l’exploitation française coupera une dizaine de minutes de métrage pour leur substituer une quinzaine de minutes de séquences pornographiques, caviardées ici et là.

Cette version pornographique est sortie sous le titre LES BRÛLANTES. Selon la pratique qui se développe alors, elle compte huit séquences additionnelles, toujours assez brèves. Tournées pour la sortie française ou récupérée d’autres métrages (du moins le pensons-nous), elles constituent des ruptures incessantes de continuité : les acteurs ne sont plus les mêmes, leurs coiffures diffèrent, l’une épilée ici offre des aisselles poilues là, les prisonnières portent soudain bagues, montres et ongles vernis…

Cependant, cette version reste intéressante. Non seulement en témoignage d’une époque qui exsudait son envie de sexe, lequel s’imposait partout où il le pouvait. Mais aussi parce que ces séquences fonctionnent parfois, dès lors qu’elles changent l’intention des plans initiaux. Prenons l’exemple de la séquence où, dans le montage initial, le gouverneur épie une scène saphique entre deux prisonnières. On se trouve ici devant le fantasme du voyeurisme, qui traverse tout le cinéma de Jess Franco. Le gouverneur épie et jouit d’un spectacle lesbien. Le montage porno insère une séquence de pénétration hétérosexuelle et voilà l’intention bouleversée : le fantasme du gouverneur est désormais de participer activement à l’action. De même, les incohérences de bijoux, coiffure, etc., pourront vaguement s’excuser car l’action montrée n’a pas réellement lieu mais reste confiné aux fantasmes des protagonistes. On regrettera en revanche le remplacement de la superbe séquence des motards par celle, passablement laide, d’un viol commis par une tête blanche (dont les stries rouges marquant son dos restent inexpliquées, mais nous font nous demander si cet acteur – que nous n’avons pas identifié – ne serait pas Jan Wilton, l’esclave de Silvia Bourdon, qu’on reverra dans EXHIBITION 2 de JF Davy)

Dans la version d’origine, que du soft donc. Pourtant, on l’a souligné plus haut, que du bon : Jess Franco compose de superbes séquences érotiques. Ce qui est intéressant, c’est que la plupart d’entre elles ne prennent pas place dans la réalité vécue par les prisonnières, mais dans leurs fantasmes : la réminiscence des événements qui les a fait tomber (la danseuse lascive, le viol des motards…) Dans d’autres cas, l’érotisme résulte moins de la relation charnelle entre deux protagonistes que de l’effet produit sur un troisième tout occupé à les épier. Le voyeurisme restera une constante de tout le cinéma de Jess Franco… il éclatera dans toute sa splendeur quand s’y ajoutera l’exhibitionnisme décomplexé de Lina Romay quelques années plus tard. Aussi, on peut voir tout le film comme une grande rêverie : il n’y a pas vraiment de prisonnières suppliciées, tout se passe dans la tête du voyeur, spectateur du film, spectateur des événements au sein de celui-ci. Ceci en excuserait dès lors le caractère peu véridique. Le fantasme ne s’embarrasse pas de crédibilité ! Dès lors, si le women in prison est en soi un fantasme, les rêveries de Marie et des autres codétenues créent une structure gigogne à l’intérieur de celui-ci.

A noter que comme pour bon nombre d’autres Jess Franco (dont LE TRÔNE DE FEU chroniqué par ailleurs), plusieurs autres montages, que nous ne connaissons que par ouï-dire, ont existé : dans « Jess Franco, les prospérités du bis », Alain Petit signale, mais sans l’avoir vu, un montage italien de 108 minutes (soit 19 de plus que celle que nous connaissons, et dix de plus que la version porno). Dépassant l’anecdote, il n’est pas inintéressant non plus de relever le happy end imposé par l’Espagne franquiste sur les copies destinées à l’exploitation locale. Si cette version dénature l’intention de l’auteur et le caractère sadien du film, elle atteste de ce que les autorités espagnoles auraient pu interpréter le film comme une critique détournée. C’est en tous cas notre hypothèse : lorsque Jess Franco quitte l’Espagne, c’est par dégoût du régime dictatorial, de la censure et de l’absence de liberté. C’est de ce moment que vont éclore ses obsessions sadiennes de personnages enfermés, brimés, réprimés par des puissants invaincus. Le WIP fonctionne très bien sur ce schéma. Peu étonnant que les autorités espagnoles d’alors ne le goûtent guère.

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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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