Un texte signé Patrick Barras

review

Alice au pays, s’émerveille

Perdu au beau milieu des Balkans, un flic Français accompagné de sa femme enceinte et de sa maitresse retourne sur les traces de son enfance après la guerre. En plein blizzard, ils se retrouvent bloqués à une frontière imaginaire où il « pleut des corps ». Hostiles à cette intrusion sur leur terre, les habitants doivent composer avec l’arrivée de ce trio amoureux en pleine crise conjugale.

On peut se souvenir du court métrage de Marie Eve Signeyrole grâce au buzz occasionné lors de sa pré-production, avec un appel à un financement participatif sur internet façon THE FULL MONTY des plus amusants. Les deux producteurs se mettant à nu et proposant le grand jeu en échange des dons qui permettraient au film de voir le jour. La réalisatrice étant encouragée et soutenue dans son projet par Emir Kusturica en personne, le tournage se déroula en Serbie.
La vision du produit fini peut donner lieu à pas mal de questions. Quant à ce qui nous est raconté, ce qui nous est donné à voir, le film semblant entièrement construit sur l’idée de déplacement.
Au sens propre en premier lieu, les personnages voyageant en voiture en pays étranger, après avoir traversé une bonne partie de l’Europe depuis la France. Déplacement aussi pour le personnage du flic qui retourne dans son pays natal qu’il n’avait pas revu depuis son enfance. Retour aussi vers une culture, des us et coutumes qui lui sont désormais étrangers.
Mais c’est pour le spectateur que le déplacement est aussi conséquent, au sens figuré. Dès le début, si l’on essaye d’identifier l’objet filmique auquel on est confronté, on se rend compte que l’on ne peut pas se raccrocher à grand chose, mis à part par réflexe à des certitudes de spectateur habitué à une classification par genres et qui seront sans arrêt contrariées.
Marie Eve Signeyrole s’applique en effet à nous promener, à nous faire glisser d’un genre à l’autre en permanence, du début à la fin, sur un métrage de seulement 27 minutes. Ce qui semble démarrer comme un vaudeville contemporain, avec des accents de road movie, se transforme en drame psychologique, pour ensuite s’orienter vers le fantastique teinté de surréalisme, avec la pluie de cadavres, lorgnant sur les codes, qui peuvent nous être familiers, de certaines productions horrifiques. On n’est certes pas dans le jeu de massacre de clichés méthodique de LA CABANE AU FOND DES BOIS, mais le vieil homme bourru et peu chaleureux envers les étrangers est tout de même de la partie ici.
Tout est fait pour que l’on ne puisse pas s’installer confortablement dans tel ou tel type de récit. On se prend alors à se sentir étranger à cette histoire (mais néanmoins toujours mu par la curiosité), à l’image de ce policier sous pression qui ne parvient pas à retrouver ses marques et à se faire accepter dans cette région qu’il a quittée depuis trop longtemps et où il n’est plus reconnu comme un compatriote. Personnage qui trouve un parfait contrepoint dans celui, incongru, d’un Japonnais décontracté qui lui semble parfaitement intégré au village qui sert de décor au film (village de Kusturica, au passage). Une ligne de dialogue fait d’ailleurs dire à Emir Kusturica, qui campe ici un personnage de fossoyeur insolite et taciturne, que les Français sont décidément des gens bien compliqués – phrase que le spectateur doit également prendre à son compte ? Comme si confronté à la perte de ses repères il lui était simplement conseillé de ne pas se poser trop de questions et de profiter du spectacle… Le fossoyeur, quant à lui a des morts à enterrer, point final. Il n’a que peu d’intérêt et de temps à consacrer aux états d’âme et aux motivations de voyageurs indésirables.
Alors que l’histoire ne semble pas avoir de fin à proprement parler, le film se pose comme une suite de conclusions. Celle d’un road-movie, en cul de sac, celle d’un drame amoureux, celle d’un retour aux sources impossible et celle plus improbable d’une guerre, quand bien même les morts continuent à tomber et qu’il est impossible de tous les enterrer…
Une absence de fin qui peut laisser penser que la réalisatrice pourrait nous avoir tout simplement « bien baladés » en définitive, à tous les sens du terme et avec malice. Et tout compte fait ce n’est pas si désagréable que ça. Propension dont on peut souhaiter le développement concernant ses prochaines réalisations.
Jean Luc Godard disait qu’un des objectifs du cinéma était d’émouvoir, et que dans « émouvoir » il y a tout de même « mouvoir »…


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- Article rédigé par : Patrick Barras

- Ses films préférés : Il était une fois en Amérique, Apocalypse now, Affreux, sales et méchants, Suspiria, Massacre à la tronçonneuse

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