Un texte signé Alexandre Lecouffe

U.S.A. - 1976 - Alfred Sole
Titres alternatifs : Communion, Holy terror
Interprètes : Linda Miller, Paula E. Sheppard, Mildred Clinton, Rudolph Willrich

retrospective

Alice sweet Alice

Nous sommes dans une petite ville américaine au début des années soixante et faisons la connaissance de Catherine qui vit seule avec ses deux filles, Karen (neuf ans) et Alice (douze ans). La cadette, qui va célébrer sa première communion, reçoit du prêtre Tom, proche de la famille, un pendentif ayant appartenu à sa propre mère. Alice, de caractère jaloux et sournois, tourmente sa petite sœur et la terrifie en revêtant un inquiétant masque translucide et grimaçant. Le lendemain, Karen est étranglée dans un recoin de l’église où devait avoir lieu sa communion ; l’ignoble assassin portait un imperméable jaune et un masque semblable à celui utilisé par Alice pour effrayer sa sœur…Alors que Catherine reste persuadée que sa fille n’a aucun lien avec le meurtre, sa sœur Annie est agressée à coups de couteau par une personne masquée et vêtue d’un imper jaune qu’elle associe sans hésiter à Alice ! La fillette est placée dans un institut psychiatrique mais c’est alors son père, venu soutenir son ex-femme, qui est victime d’un tueur aux accessoires familiers…

Alfred Sole n’a réalisé que quatre longs métrages pour le cinéma, débutant par un film érotique (DEEP SLEEP, 1972) et terminant sa carrière sur un obscur « slasher », PANDEMONIUM (1982). ALICE SWEET ALICE (également connu sous le titre de COMMUNION) demeure sa seule oeuvre bénéficiant d’une solide réputation et nous verrons si celle-ci est justifiée…Le film marque aussi les débuts cinématographiques de « l’enfant-star » Brooke Shields qui interprète brièvement la malheureuse Karen. La jeune actrice tiendra le rôle-titre dans l’excellent et controversé LA PETITE (Louis Malle, 1978) avant d’enchaîner les bluettes (LE LAGON BLEU de Randal Kleiser, 1980 ; UN AMOUR INFINI de Franco Zeffirelli, 1981…) puis les séries télévisées dans les années 90. On a pu admirer récemment sa beauté et son talent dans le film d’horreur MIDNIGHT MEAT TRAIN de Ryuhei Kitamura (2008). Quant à Alfred Sole, il est depuis de nombreuses années un directeur artistique réputé, travaillant pour des séries à succès comme le récent et gentiment inquiétant « Castle ».

Petit budget, production indépendante, ALICE SWEET ALICE est un étrange thriller qui utilise les ressorts classiques du « whodunit » hitchcockien tout en se nourrissant d’une tonalité à la fois morbide et irréelle issue du giallo italien. Le début du film, de la rivalité entre les deux sœurs à la mort violente de la « gentille », évoque celui du thriller transalpin LA DAME ROUGE TUA SEPT FOIS (Emilio Miraglia, 1972) tandis que l’ambiance funèbre qui berce le métrage après le décès de Karen rappelle celle de l’admirable CHI L’HA VISTA MORIRE ? d’Aldo Lado (1972). Les emprunts au giallo émaillent ensuite une bonne partie du récit, que ce soit dans la recherche formelle de cadrages plutôt inhabituels, dans le choix d’angles parfois étranges ou dans la figuration d’un des motifs visuels les plus saillants du genre : les meurtres sanglants et ritualisés à l’arme blanche. ALICE SWEET ALICE n’hésite pas, en outre, à l’instar de ses modèles européens, à convoquer, même de façon souterraine, des thèmes sensibles tels que le sadisme infantile (les « petites farces » d’Alice à son propriétaire, épave pachydermique), le voyeurisme ou la pédophilie (voir à nouveau le personnage du propriétaire). Le film parvient donc à fixer une atmosphère suffocante que dominent de brusques éclats de violence physique et psychologique ; leur impact est encore décuplé par le fait qu’une terrible question se pose : ces actes terribles sont-ils le fait d’une pré-adolescente ? En configurant son intrigue meurtrière à travers le prisme de l’enfance vénéneuse, maléfique, Alfred Sole semble se rattacher à un courant plutôt fantastique qui irait du chef d’œuvre LES INNOCENTS (Jack Clayton, 1960) à LA MALEDICTION (Richard Donner, 1976, sorti quelques mois avant ALICE SWEET ALICE). Cependant, le traitement « surnaturel » de cette thématique semble rapidement mis de côté au profit d’une approche plus psychanalytique qui viendrait mettre en cause la responsabilité des adultes et de leurs rites dans le dysfonctionnement et la corruption de l’enfance (et, partant, de leur innocence). Le film peut en effet se lire comme une attaque en règle contre la religion catholique, ses sacrements, ses rituels obligés, son hypocrisie qui est source de craintes, de superstition, du sentiment de culpabilité et, finalement, d’aliénation. Tous les protagonistes sont en effet des victimes, à des degrés plus ou moins élevés, du poids de la religion et celle-ci semble prendre le dessus sur toute forme de rapport social équilibré ; elle est omniprésente visuellement au travers de la profusion d’images et de symboles bibliques (quasiment pas un plan en intérieur sans une référence iconographique religieuse) et le récit s’ouvre et se clôt dans une église, lieu qui incarne ouvertement dans le film un espace d’asphyxie et de mort… L’étrangeté et l’originalité d’ ALICE SWEET ALICE proviennent de cette approche « anticléricale » qui parait plutôt audacieuse dans une série B américaine même si son discours peut sembler parfois mal développé. De même, il faudra passer sur certaines invraisemblances du scénario concernant les motivations du (des ?) tueur(s) et sur quelques séquences inutiles ou peu inspirées. En revanche, on restera sidéré par la violence graphique perturbante de plusieurs scènes parmi lesquelles la mise à mort de Karen, l’impressionnant et « giallesque » assassinat du père (la meilleure séquence du film ?), le final tétanisant et le dernier plan ambigu.

ALICE SWEET ALICE est donc une petite œuvre très recommandable qui devrait satisfaire les amateurs de thrillers sanglants dotés de style et non dénués d’intention subversive. Le film va avoir droit à son « remake » très prochainement, il sera réalisé par Dante Tomaselli (SATAN’S PLAYGROUND, 2006), cousin d’Alfred Sole et fan absolu de l’œuvre originale.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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