Etats-Unis - 1944 - Edgar G. Ulmer
Titres alternatifs : Blue Beard
Interprètes : John Carradine, Jean Parker, Ludwig Stossel, Teala Loring, Nils Asther…

Dossierretrospective

Barbe-Bleue

Le Baron Kurt von Sepper est un séduisant quinquagénaire de l’aristocratie autrichienne qui s’est illustré par sa bravoure dans l’armée de l’air durant la première guerre mondiale. Blessé au visage durant celle-ci, il dissimule ses cicatrices derrière une barbe devenue bleutée à la suite d’une réaction à un produit chimique. Le Baron, qui est dorénavant très proche du régime nazi, vient d’épouser Anne, une artiste américaine de music-hall qui vient donc vivre dans l’immense propriété de son époux. Ce dernier semble peu enclin aux choses de l’amour et plus intéressé par les armes à feu ou par son faucon dressé. Parti quelques jours en voyage d’affaires, von Sepper laisse les clés de sa demeure à Anne avec l’interdiction d’utiliser l’une d’entre-elles ; la jeune femme contreviendra bien sûr à cette consigne pour découvrir, derrière la porte interdite, les cadavres congelés d’une demi-douzaine de femmes…

C’est à la toute fin de sa carrière que le réalisateur Edward Dmytryk (décédé en 1999) signe cette étrange coproduction italo-allemande qu’il reniera finalement. D’origine ukrainienne, de nationalité canadienne, Edward Dmytryk débute à Hollywood dans les années trente en tant que monteur puis il réalise de nombreuses séries B qui resteront inédites en France. Il est l’auteur d’excellents films noirs (ADIEU MA BELLE, 1945) souvent marqués par un questionnement politico-social (le très bon FEUX CROISES, 1947, qui aborde le thème de l’antisémitisme). Proche du parti communiste, Edward Dmytryk fera partie des « Dix d’Hollywood » mis sur la liste noire du sénateur Mc Carthy ; il sera condamné à un an de prison et mis au chômage technique. Après un court exil en Angleterre, le réalisateur reviendra aux Etats-Unis purger sa peine et…dénoncer quelques amis « rouges » (notamment Jules Dassin) ce qui lui permettra de retrouver du travail mais qui lui vaudra aussi d’être ostracisé jusqu’à la fin de sa carrière. Assez bon représentant du « Hollywood classique », Edward Dmytryk est à la tête d’une filmographie très inégale de laquelle on peut extraire quelques belles réussites, outre les films déjà cités : OURAGAN SUR LE CAINE (1954), LA LANCE BRISEE (idem), LE BAL DES MAUDITS (1958) et son chef d’œuvre : L’HOMME AUX COLTS D’OR (id.). Si la catégorie « auteur » lui a toujours été refusée faute de style véritable, ses œuvres les plus personnelles ont en commun des personnages complexes, tourmentés et hantés par…la culpabilité.

C’est à la tête d’un projet que l’on peut qualifier d’hybride que se retrouve le vétéran hollywoodien Edward Dmytryk en ce début des années soixante-dix, période marquée à la fois par une grande permissivité dans la représentation de la violence et de la sexualité et par un âge d’or du film d’horreur et du thriller au sens large. Hybride, BARBE-BLEUE l’est à la fois par la grande diversité des nationalités présentes au casting de cette coproduction entre la France, l’Allemagne et l’Italie et par l’hétérogénéité des tonalités narratives qu’elle convoque. D’un point de vue général, le film s’inscrit globalement dans une esthétique et des thématiques qui sont celles du cinéma de genre italien des années soixante et plus particulièrement celles de l’épouvante gothique et du giallo (le thriller transalpin sanglant et érotique). Le scénario est dû à un duo, Maria Pia Fusco et Ennio de Concini, qui signera le « scandaleux » SALON KITTY(1976) de Tinto Brass et qui proposait déjà dans ce BARBE-BLEUE de mêler érotisme, effets choc et…croix gammées ! Si l’on ajoute à cela que le film développe tout au long de son récit un humour macabre et des saynètes ouvertement comiques (la première femme du Baron passe son temps à chanter et à danser, son malheureux époux qui ne peut même pas l’embrasser finit par la faire taire définitivement, au grand soulagement du spectateur-complice) mais aussi des clins d’œil appuyés au PSYCHOSE (1960) d’Alfred Hitchcock, il n’y a plus de doute quant à l’aspect hybride, pour ne pas dire « fourre-tout » de cette variation moderne sur le mythe de la Barbe-Bleue.

Ce personnage popularisé par le conte de Perrault (1697) est devenu la figure emblématique de l’assassin misogyne qui s’est incarné au fil des années dans des personnalités sinistres mais bien réelles telles que Landru qui ont à leur tour inspiré le cinéma : BARBE-BLEUE (Edgar Ulmer, 1944), MONSIEUR VERDOUX (Charles Chaplin, 1952), LANDRU (Claude Chabrol, 1963). Mais contrairement à ces œuvres qui prenaient le parti de souligner la complexité psychologique de l’assassin ou de se placer du point de vue de celui-ci, le film d’Edward Dmytryk choisit une tonalité plutôt légère, une caractérisation caricaturale de son personnage (un homme fasciné par la puissance et dissimulant son…impuissance) et un point de vue externe sur ce dernier : celui de la future victime de Barbe-Bleue, Anne, sa dernière épouse (la chanteuse et actrice de séries Joey Heatherton qui rappelle un peu la blonde Mimsy Farmer). A compter du moment où la curiosité de la jeune femme a été mise à jour par son sanguinaire époux (l’imposant Richard Burton que l’on a pu admirer dans des rôles et des films aussi divers que CLEOPATRE, 1960, de Joseph L.Mankiewicz ou L’HERETIQUE de John Boorman, 1977), le film va adopter une struture narrative fondée sur une séries de séquences en flashes-back. Au nombre de six et d’une longueur à peu près égales, elles correspondent au récit que le Baron fait à Anne des raisons pour lesquelles il a assassiné ses épouses (et une « invitée »). Chaque séquence mélange avec plus ou moins d’habileté un humour teinté de misogynie, un sens du macabre et de l’horreur assez réjouissant (voir les divers instruments mortels utilisés par le bourreau barbu : mini-guillotine, corne de rhinocéros ( ?), chaise électrique…) et un défilé de jolies starlettes légèrement (dé)vêtues.Parmi celles-ci, la sculpturale Raquel Welch dans le rôle d’une ex-nonne évoquant ses innombrables aventures galantes, la très belle Agostina Belli en femme-enfant capricieuse ou un duo saphique composé de Nathalie Delon et de Sybil Danning.

En fin de compte, ce cocktail d’éléments horrifiques, érotiques et humoristiques fonctionne plutôt bien, grâce notamment à un travail soigné sur la forme, que ce soit dans l’utilisation efficace des motifs gothiques de la demeure pleine de recoins souterrains et de chausse-trapes ou dans la mise en valeur de cet espace diégétique clos par le biais d’une photographie privilégiant l’éclat des couleurs primaires. Si l’influence esthétique du film est à chercher du côté du fantastique italien des années soixante, on pense également beaucoup aux œuvres « réalistes » du Mario Bava de cette période telles que L’ILE DE L’EPOUVANTE (1970) ou UNE HACHE POUR LA LUNE DE MIEL (idem) qui maniaient de la même façon humour macabre, érotisme soft et jeux de massacre. On peut aussi penser que le long métrage a été influencé par l’excellent et désormais culte L’ABOMINABLE DOCTEUR PHIBES de Robert Fuest avec Vincent Price sorti en 1971. Il paraît plus que probable qu’Edward Dmytryk n’était pas familier avec cette cinématographie « déviante » et que son travail a été « retouché » par les producteurs italiens, peut être par l’assistant-réalisateur Luciano Sacripanti ; toujours est-il que le vétéran hollywoodien refusera finalement de signer le film. En l’état, BARBE-BLEUE demeure cependant un très sympathique petit plaisir du cinéma-bis européen.


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