Un texte signé Philippe Delvaux

USA - 1987 - Jackie Kong
Titres alternatifs : Blood feast 2
Interprètes : Rick Burks, Carl Crew, Roger Dauer, LaNette La France

L'étrange Festival 2013retrospective

Blood diner

Avant de mourir abattu par la police, un oncle fou lègue à ses neveux, Michael et Georges, l’amulette et le livre d’invocation de l’antique déesse Shitar. Devenus adultes, les deux frangins vont exhumer le cerveau de leur oncle et avec son aide, préparer le rituel d’invocation, ce qui nécessite force boyaux prélevés sur des « salopes », le tout nappé du sang sacrificiel d’une jeune vierge.

Attention, gros Z qui tâche en vue !

Avec BLOOD DINER, Jackie Kong réalise un remake à peine déguisé du BLOOD FEAST de Hershell Gordon Lewis (son titre de travail était d’ailleurs BLOOD FEAST 2). Pour rappel, BLOOD FEAST (1963, FÊTE SANGLANTE pour une antique VHS française, ORGIE SANGLANTE pour le titre de sortie belge), c’est l’irruption, au mitan des années ’60, du gore dans le cinéma occidental, soit des films dont l’exposition du sang, des tripes et des morts atroces constitue la raison d’être. Venu du nudie, Hershell Gordon Lewis en est l’instigateur et le premier spécialiste. Le genre va rapidement faire florès et le bonheur des salles crapoteuses et d’un public en mal de sensations fortes. L’ère de la vidéo donnera par la suite un nouvel élan au cinéma gore.

Ce qui nous amène à ce BLOOD DINER, tout petit « classique » de vidéothèque tombé en désuétude et exhumé par l’Etrange festival en 2013. Gore, BLOOD DINER l’est assurément : on y massacre, démembre, cuisine les restes, fabrique un monstre à la Frankenstein pour accueillir l’âme de la déesse Shitar, le tout sous une paire d’yeux scrutateurs reliée au cerveau de l’oncle, désormais confiné à un bocal de formol. Mais il ne s’agit nullement ici de ces œuvres glauques et répulsives qui marquent souvent le genre. Nous nous situons ici plutôt dans la comédie potache produite à la pelle dans les années ’80. On y décapite, certes, mais avec le sourire et dans une atmosphère d’imbécilité assumée. Les protagonistes ne doivent pas avoir 20 ans, ce qui les rapproche du public cible visé, les teenagers et les jeunes adultes. Nos deux antihéros composent des faces d’ahuris de première catégorie, comme le ciné pour teen les affectionnait. Les autres personnages ne sont d’ailleurs guère mieux servis.
Micro budget, le gore est basique : les membres amputés viennent clairement de mannequins d’étalage. Nous sommes au Grand Guignol. Mais rien de dérangeant ici puisque le BLOOD FEAST de Lewis devait lui aussi se contenter, pour les mêmes raisons de budget famélique, d’effets rudimentaires. La filiation en ressort au contraire renforcée.

BLOOD DINER est un remake-suite. La similarité des deux titres est d’ailleurs parlante. Alors que BLOOD FEAST se termine sur la mort du wanna be prêtre, BLOOD DINER embraie avec les aventures de ses neveux. Quoi de plus normal, un peu plus de 20 ans sépare les deux œuvrettes, le raccord temporel opère. Notons qu’encore que 15 ans plus tard, en 2002, BLOOD FEAST connaitra une suite officielle par Herschell Gordon Lewis lui-même, qui reprend une caméra trente ans après son dernier film. BLOOF FEAST 2 : ALL U CAN EAT s’inscrit dans une époque qui ne jure plus que par le recyclage de tout le patrimoine ciné de genre. BLOOD DINER ne se présente cependant pas officiellement comme une suite de BLOOD FEAST. Mais Jimmy Maslon, le producteur de BLOOD DINER récupèrera les droits des films de Herschell Gordon Lewis… et produira donc 20 ans plus tard le BLOOD FEAST 2 qui signait le retour de parrain du gore aux affaires. Maslon persévèrera d’ailleurs en produisant le remake de WIZARD OF GORE (programmé jadis au BIFFF) et un documentaire sur Herschell Gordon Lewis.

Les années ’80 n’étant plus les années ’60, les deux films se différencient aussi par leur quota de nudité. Hershell Gordon Lewis a débuté dans le nudie, on l’a dit. Il y a toujours eu un rapport évident entre cinéma d’horreur et érotisme, notamment parce qu’ils se disputaient souvent le même réseau de salles et le même public, mais aussi – et par conséquence – parce que le ciné d’horreur a régulièrement introduit dans ses intrigues des séquences érotiques, souvent évidemment à tendance sadique. BLOOD DINER sacrifie ( !) donc au genre en nous donnant nombre de victimes et de nudités. L’exemple le plus parfait – car absolument gratuit et passablement vulgaire – est celui du cours d’aérobic à seins nus dont toutes les participantes sont dégommées par nos deux zinzins.
L’intrigue est basique et son déroulement sans importances. BLOOD DINER procède plus par un collage de vignettes vaguement reliées entre elles. Certaines séquences sont purement gratuites, telle celle qui voit un des neveux affronter un champion de catch nazi.

La mise en scène est fonctionnelle, la direction d’acteur privilégie le cabotinage, la direction artistique ancre le film au cœur des années ’80. Bref, BLOOD DINER appartient à une époque révolue et avait disparu avec elle jusqu’à sa redécouverte par l’Etrange Festival. Revu 25 ans plus tard, le film se pare de la patine de l’époque. Comme bien d’autres spectacles, il fonctionne aujourd’hui comme une curiosité, un témoignage d’un autre temps et garde une certaine capacité à nous distraire. On ne peut guère lui concéder plus.

La version projetée à l’Etrange Festival était doublée en français, ce qui normalement fait fuir tout cinéphile endurci mais ajoute ici au contraire une saveur supplémentaire au ragout. Les doubleurs, conscients de la portée exacte de l’œuvre s’en donnent à cœur joie dans la vulgarité et la grossièreté : « et n’oublie pas de me ramener le foie et les poumons de deux salopes », « chers citoyens, ici une annonce de la police : un maniaque erre dans la ville, une hache à la main, ses parties génitales dans l’autre », « je suis mort parce que j’ai trempé ma bite chez les petits chanteurs à la gueule de bois »… l’outrance verbale est de mise, pour notre plus grand plaisir.

Au final, BLOOD DINER est un film mineur, mais qui se laisse regarder. Son esthétique et son traitement le confinent clairement aux années ’80, dans le segment des films désargentés pour adolescents. Si vos gouts vous portent sur ce cinéma-là, si vous vous intéressez à tout ce qui se rapporte à Hershell Gordon Lewis, ou si vous cherchez un film stupide pour une pizza party du samedi soir, BLOOD DINER fera le boulot.

Retrouvez notre couverture de l’Etrange festival 2013.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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