Un texte signé Claire Annovazzi

USA - 1960 - Otto Preminger
Interprètes : Paul Newman,Eva Marie Saint,Sal Mineo,Jill Haworth

Dossierretrospective

Exodus

1947, Chypre. Les passagers du bateau L’Étoile de David, environ 600 Juifs, viennent d’être débarqués après avoir tenté de pénétrer illégalement en Palestine. Les militaires britanniques qui occupent l’île les emmènent au camp de déportés de Karaolos. Là, une infirmière, veuve depuis peu, Kitty Fremont, s’est portée volontaire pour aider les réfugiés.
Ari Ben Canaan a d’autres plans. Il fait s’évader les récents déportés et les conduit à bord d’un navire pour les emmener en Palestine. Mais les Anglais découvrent vite le pot aux roses et bloquent le bateau au port. Ils ne savent pas qu’Ari est prêt à tout pour parvenir à ses fins, même à faire exploser le navire s’il le faut. Kitty arrivera-t-elle à le faire changer d’avis? Et que se passera-t-il si le bateau, rebaptisé l’Exodus, finit par arriver en Palestine?

Commençons par un petit point d’histoire. Après la libération des camps de concentration, l’Europe se retrouve avec toute une population de personnes déportées – et fortement traumatisées – dont il faut s’occuper. Mais personne ne veut les prendre en charge. Alors tous ces expatriés prennent le chemin de la Terre Promise, la Palestine, où déjà un certain nombre de Juifs avaient élu domicile avec l’accord du gouvernement arabe. À cette époque, le pays est sous occupation britannique. Afin de ménager les susceptibilités des uns et des autres – et de respecter une promesse faite en 1917 –, les Anglais imposent des quotas annuels pour l’immigration juive. Mais les refoulés cherchent des moyens pour parvenir tout de même en Palestine, aidés par l’organisation sioniste la Haganah qui affrète des navires pour permettre une immigration clandestine massive. Ces bateaux sont tous arrêtés par l’Armée Anglaise, qui débarque les clandestins dans des camps sur l’île de Chypre, par exemple, qu’elle occupe également. Par la suite, ces mouvements de population interpellent l’ONU qui décrétera la séparation de la Palestine en deux états, débouchant sur la création d’Israël.
Il est important de rappeler tout cela, car EXODUS – comme le livre dont il est adapté – raconte une histoire légèrement éloignée de la réalité. Par exemple, le navire qui donne son nom au film, l’Exodus, s’il a bien existé, n’est jamais parvenu jusqu’en Palestine. Par contre, il est célèbre pour avoir contribué, de manière indirecte, à l’établissement de l’État d’Israël. Et ce n’est qu’un des partis pris de cette oeuvre.

C’est certainement pour cette raison que Leon Uris, correspondant de guerre dans le conflit israëlo-palestinien en 1956, a choisi ce titre pour son livre. Décidé à exposer au monde ce dont il a été témoin, et après deux longues années de recherches, il écrit cette épopée aux multiples personnages engagés dans un combat qui les dépasse. Le livre devient un succès, au même titre qu’AUTANT EN EMPORTE LE VENT de Margaret Mitchell, publié une douzaine d’années auparavant. Et de fait, il y a beaucoup de similitudes entre les deux oeuvres littéraires: essentiellement la manière dont la petite histoire des gens rejoint la grande Histoire, avec une romance impossible entre deux personnes de milieux différents. C’est bien entendu le cas également pour les films.
D’autres points communs avec le célèbre film de Victor Fleming émaillent EXODUS, et tous ne sont pas des points forts. En effet, le jeu des acteurs est incroyablement théâtral, et ils ne sont pas servis par des dialogues très explicatifs et peu réalistes. Le pire étant peut-être l’interprétation de Jill Haworth en jeune adolescente juive à la recherche de son père, qui récite ses lignes comme un robot et avec peu d’expressions sur le visage. Mais cela rend encore plus forts les moments sans dialogues, où les acteurs doivent communiquer leurs émotions uniquement au travers de leurs gestes. Comme la confrontation des frères aux avis divergents Akiva et Barak en prison, dans laquelle tout passe par le jeu des regards et un simple champ-contre-champ sur les deux figures charismatiques.
Bien sûr, les têtes d’affiche, Newman et Saint en tête, parviennent à tirer leur épingle du jeu, grâce à leur charme et à leur talent inégalables. Celui qui fait – une nouvelle fois, ajouteront certains – sensation est Sal Mineo, des années après sa participation à LA FUREUR DE VIVRE (1955). Dans le rôle de Dov Landau, jeune rescapé des camps de la mort, il offre une scène d’interrogatoire mémorable, dure et bouleversante. Les membres de l’Académie n’y avaient d’ailleurs pas été insensibles et Mineo avait été nominé aux Oscars pour sa prestation.
La mise en scène reste simple: pas d’effet spectaculaire, même dans les scènes d’action qui n’en restent pas moins très excitantes. Otto Preminger profite de ses extérieurs naturels à Chypre et en Israël, de manière bien souvent contemplative, nous faisant partager le regard émerveillé de ses personnages – là où AUTANT EN EMPORTE LE VENT se contentait souvent de décors en studio et de matte painting. On voyage, avec EXODUS.

EXODUS est aussi, à sa façon, un film militant. D’abord parce qu’il ne semble pas anodin que ce soit Otto Preminger, Juif autrichien d’origine, qui se charge de la réalisation. Habitué à donner des coups de pied dans la fourmilière qu’est Hollywood, par le biais des sujets qu’il aborde entre autres (comme dans L’HOMME AU BRAS D’OR, 1955, ou AUTOPSIE D’UN MEURTRE, 1959), Preminger continue en engageant Dalton Trumbo (qui réalisera plus tard le fabuleux JOHNNY S’EN VA-T-EN GUERRE, 1971) pour l’écriture du scénario: il est le premier à le faire de manière officielle – Trumbo a toujours continué à travailler sous divers pseudos – alors même qu’il est toujours sur liste noire pour ses activités communistes (nous sommes en pleine Guerre Froide à l’époque).
Le film, comme le livre auparavant, relate un bon nombre d’événements réels au milieu de la fiction, comme l’attentat de l’hôtel King David, ou l’évasion de la prison de Acre – même si elle ne s’est pas déroulée exactement ainsi qu’elle est montrée –, pour rendre plus réaliste l’histoire racontée. Mais des choix ont été opérés dans la manière de raconter ces événements réels ou fictionnels. En effet, EXODUS tend à insister sur le rôle déterminant des Anglais dans l’explosion de violence que rencontrera la Palestine, comme si les Juifs et les Arabes n’avaient été que de pions dans cette histoire. C’est un parti pris fort, étayé par les points de vue proposés par le réalisateur. Dans un premier temps, nous suivons Kitty, américaine, qui avoue ne pas comprendre la population juive, et travaillant aux côtés des Anglais, puis nous nous tournons ensuite vers Ari, Juif aux idées révolutionnaires et décidé à participer à la création d’un état pour son peuple. Par le biais de ces deux regards, nous voyons à quel point les Anglais se soucient peu de la condition des déportés, et comment leur désorganisation face à une situation qu’ils ne parviennent pas à contrôler envenime les choses, alors que les Arabes et les Juifs étaient prêts à s’entendre – ce qui est longuement mis en valeur à travers l’amitié entre Ari et Taha, chef du village arabe voisin avec qui il a été élevé.
Autre parti pris très intéressant: Preminger a choisi de peu différencier physiquement les Juifs des autres personnages, notamment les Anglais. Cela semble normal, mais ce n’est pas toujours le cas au cinéma. Ici, la plupart des personnages juifs sont interprétés par des non-juifs, et seule la présence de certains éléments religieux – comme la ménorah, fameux chandelier à sept branches – permet souvent de les distinguer. Il est même fait allusion à la vision déformée que l’on peut avoir du peuple juif, quand Kitty avoue s’intéresser à la jeune Karen, parce qu’elle est blonde et a un nom non-juif, et qu’elle ressemble presque à une américaine, selon ses dires.
Mais EXODUS calme un peu ses ardeurs. Ce qui aténue l’aspect militant de l’oeuvre est sans aucun doute le fait que les idées et les actes sont attribués à des personnages, plutôt qu’à des nations ou des groupes entiers. Ainsi Akiva est seul responsable des attentats, pendant que l’on peut reprocher à un dignitaire allemand les premières attaques des Arabes sur le village de Gan Dafna.

En conclusion, EXODUS est une épopée historique qui, si elle ne présente pas l’exacte réalité, permet néanmoins d’en apprendre plus sur les événements qui conduisirent au conflit israëlo-palestinien qui continue de faire rage aujourd’hui, et le message optimiste qui ferme le film n’en est que plus terrible à la lumière de ce qui a toujours cours. Un beau film, dont la longueur – 3h20 – n’est pas synonyme d’ennui, sur une musique dont le thème envoûtant vous hantera longtemps après que le film soit fini.


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- Article rédigé par : Claire Annovazzi

- Ses films préférés : Une Balle dans la Tête, Fight Club, La Grande Bouffe, Evil Dead, Mon Voisin Totoro


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