Un texte signé Clara Sebastiao

Italie - 1980 - Lucio Fulci
Titres alternatifs : Paura nella città dei morti viventi
Interprètes : Catriona MacColl, Christopher George, Carlo De Mejo, Antonella Interlenghi, Giovanni Lombardo Radice

retrospective

Frayeurs

Un cri strident, une peur intense, viscérale, un cimetière à la brume épaisse et bleutée, la pendaison d’un prêtre blafard reflétée dans un œil grand ouvert … Bienvenue dans FRAYEURS de Lucio Fulci.

Bien que le réalisateur soit particulièrement connu pour ses films d’horreur, rappelons avant toute chose qu’avec FRAYEURS Fulci signe ici son premier film de genre horrifique. Thriller, giallo et western forgent le savoir-faire du maestro avant que celui-ci ne s’attaque à ce qui deviendra son domaine de prédilection. C’est au travers de ses précédentes réalisations (notamment L’EMMUREE VIVANTE) que Fulci est repéré par Fabrizio De Angelis qui lui confie le scénario de L’ENFER DES ZOMBIES écrit par Dardano Saccheti. Son cinéma, bien que prévisible, présente quelques scènes ponctuelles de violence inouïe, et plusieurs plans s’attardant sur des blessures à vif et autres stigmates font sa renommée. C’est donc pour ces fulgurances qu’il est embauché sur le tournage. Pour L’ENFER DES ZOMBIES Fulci répond à une commande qu’il ne cesse d’attendre depuis plus d’un an d’inactivité, tandis qu’avec FRAYEURS il prend les devants et se lance dans la création d’une œuvre plus personnelle et mieux maitrisée. Pour se consacrer pleinement à cette œuvre, le réalisateur quitte précipitamment le tournage de LA GUERRE DES GANGS dont la fin est confiée à son assistant Roberto Giandalia. La collaboration avec Dardano Saccheti étant plus que satisfaisante Fulci décide de lui laisser les rennes pour scénariser ce film purement conceptuel autour d’un thème bien précis : la peur. La vraisemblance est sacrifiée au profit de l’émotion pure, et bien que le scénario présente plusieurs incohérences flagrantes, celles-ci sont toutes pardonnées et dépassées par l’ambiance pesante et morbide qui règne tout au long de ces 93 minutes d’angoisse.

La production débute aux Etats-Unis puis aux studios De Paolis, à Rome. La quasi-totalité du film est tournée en intérieur. Les rares scènes d’extérieurs se passent dans une baraque faisant office de bar, et dans la ville de Savannah, l’une des plus anciennes cités ayant vue le jour sous le drapeau étoilé. Le choix n’est donc pas anodin, car le passé chargé et mystérieux de Savannah rajoute aux plans une atmosphère très particulière. De plus, l’histoire de la ville étant étroitement liée à celle d’Haïti, Fulci voit en ce lieu un réel hommage aux pratiques vaudous haïtienne, berceau du mythe du zombie.

Le reste des décors est fabriqué par Massimo Antonello Geleng qui peint également des tableaux, et réussi à placer un de ses autoportraits dans l’une des scènes d’ouverture de FRAYEURS. Pour agrémenter et renforcer ce macabre surréalisme, Franco Rufini est désigné au département maquillage et effets visuels.

Les décors bénéficient du regard expert de Sergio Salvati (L’EMMUREE VIVANTE, SELLE D’ARGENT, L’ENFER DES ZOMBIES …), directeur de la photographie. Ses jeux de lumière accompagnent et suivent émotionnellement toute l’œuvre. L’atmosphère est d’ailleurs principalement basée sur ces changements lumineux. Du vert au rouge en passant par le jaune Salvati réussi à plonger le spectateur dans un état de nervosité et d’anxiété perpétuelles.

Mais que serait toute cette mise en scène sans les protagonistes ? Fulci emploi Christopher George, Catriona MacColl, Giovanni Lombardo Radice (LA MAISON AU FOND DU PARC) et Daniela Doria qui deviendra par la suite sa victime favorite (LE CHAT NOIR, LA MAISON PRES DU CIMETIERE, L’ETRANGLEUR DE NEW YORK). Notons aussi la présence à l’écran de Venantino Venantini dans le rôle de Mr Ross et son fils Luca interprétant le jeune Johnny, Michele Soavi dans le rôle de Tommy Fischer, et Lucio Fulci en personne profitant d’un caméo pour rentrer dans le personnage du docteur Joe Thompson.

Avec FRAYEURS Fulci se jette corps et âme dans l’exploration de son rapport à la religion. Catholique contrarié, il renie l’existence du paradis et cherche à expliquer ce rejet par la présence des morts-vivants qui occupe une grande partie de sa filmographie. L’imagerie catholique fait incontestablement partie intégrante de FRAYEURS et soulève dans les films de Fulci des problématiques tenant de la philosophie et de la théologie.

Moitié Lovecraft, pour la référence au village de Dunwich, et moitié Poe pour L’Enterrée vivante, l’histoire de FRAYEURS est glaçante. Le suicide d’un prêtre ouvre les portes de l’enfer, ramenant à la vie les morts. Se déchaînent alors les éléments les plus représentatifs du cinéma de Fulci : les vers et larves, le sang, les boyaux, les intestins, la cervelle, la puanteur, la putréfaction, la moisissure … Tout n’est que mort et décomposition. Le monde se meurt petit à petit, au fur et à mesure de la progression du mal.

Il livre ici l’une de ses œuvres les plus intimes et les plus abouties. On y retrouve d’ailleurs deux de ses scènes emblématiques : la perforation d’un crâne par une perceuse et la régurgitation des entrailles d’une jeune fille … Mais n’en disons pas plus ! Nous ne voudrions pas vous mettre l’eau à la bouche … FRAYEURS et sa poésie macabre représentent avec justesse le cinéma de Fulci et, de manière plus générale, le cinéma d’horreur italien. Certains passages resteront gravés dans votre mémoire.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Clara Sebastiao

- Ses films préférés : Mais ne nous délivrez pas du mal, Sayat Nova, Amer, Kissed, Naked Blood


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link