Un texte signé Philippe Chouvel

Angleterre - 1970 - Alan Gibson
Titres alternatifs : Twinsanity, Mon frère... mon assassin
Interprètes : Judy Geeson, Martin Potter, Michael Redgrave, Alexis Kanner, Marian Diamond, Freddie Jones

retrospective

Goodbye Gemini

Jacki et Julian Dewar quittent New-York, durant les vacances estivales, pour s’installer dans un quartier cossu de Londres. Ils sont accueillis par la logeuse, une femme austère qui ne tarde pas à agacer le jeune couple. Au fait, malgré un comportement très affectif l’un envers l’autre, Jacki et Julian ne sont pas mariés, ni même fiancés. Non, ce sont des jumeaux dont la complicité a pris avec les années des proportions équivoques. Beau garçon, le regard angélique, Julian cache en fait la véritable facette de sa personnalité, celle d’un déséquilibré pour qui le bien et le mal n’existent pas. Seuls comptent ses sentiments et son bien-être, qui passent entre autres par un amour incestueux envers sa sœur et un besoin d’éliminer tous ceux qui contreviendraient à leur bonheur. Le côté « Janus » de Jacki est par contre beaucoup moins prononcé. Elle se refuse à un amour charnel avec son frère, entre autres ; d’ailleurs, peu de temps après avoir emménagé, elle fait la connaissance de Clive, qui devient son amant. Julian a du mal à accepter cette liaison, et on le sent capable de tout, d’autant plus qu’il n’a pas hésité à occire la logeuse qui lui mettait des bâtons dans les roues…
Avant tout homme de télévision (ses contributions pour la TV constituant la majeure partie de sa filmographie), Alan Gibson a pourtant laissé son empreinte dans le Septième Art. Les fans de la Hammer le connaissent d’ailleurs pour avoir réalisé les deux dernières confrontations entre Peter Cushing et Christopher Lee (DRACULA ‘73 et DRACULA VIT TOUJOURS A LONDRES) dans leurs rôles respectifs de Van Helsing et Dracula. Et même si, unanimement, on peut avouer que les deux opus de Gibson sont loin de valoir ceux de Terence Fisher, ils demeurent des films tout à fait respectables. Il en va de même pour les deux premiers longs métrages réalisés par le metteur en scène (en 1970) : LE MANNEQUIN DEFIGURE et GOODBYE GEMINI. Si le premier était un huis-clos oppressant avec peu de personnages, fidèle aux codes du thriller, le second part sur d’autres voies que le suspense, celles notamment du drame psychologique et de l’étude de mœurs.
Alan Gibson livre en pâture ses jumeaux dans le Swinging London de la fin des sixties, celui de Soho et de Carnaby Street. Ils découvrent un univers à base de culture pop, de la dernière mode en vigueur, dictée par toute une faune d’oisifs, d’hédonistes et de bourgeois en mal de sensations. Dans ce monde cloisonné où la classe supérieure partage avec les pauvres le goût de la décadence, Jacki et Julian vont devoir composer, s’adapter… et pour deux êtres vivant quasiment en symbiose, la chose n’est pas aisée. L’habileté de Gibson repose dans l’étude de ses deux personnages principaux, complexe car malgré les apparences, le frère et la sœur présentent des différences au niveau du psychique. Jacki éprouve un désir d’aller vers autrui, tandis que Julian se replie progressivement sur lui-même. Et bien qu’unis par un « pacte » depuis l’enfance, le comportement de l’un et de l’autre met en évidence la fragilité de ce pacte. Cette tragique histoire d’amour contre nature entre deux individus névrosés constitue le noyau de GOODBYE GEMINI, et de ce fait le côté thriller n’apparaît qu’au second plan. Entre les deux, Alan Gibson dresse un portrait de la scène artistique londonienne du moment, ses milieux interlopes, sa faune disparate où se mêlent escrocs, homosexuels, rêveurs, drogués, profiteurs, nostalgiques et alcooliques.
Le film tient également à la qualité de ses interprètes, dont son duo vedette composé de Judy Geeson (SUEUR FROIDE DANS LA NUIT, INSEMINOÏD) et Martin Potter (SATYRICON, L’ESCLAVE DE SATAN). Les seconds rôles sont également à la hauteur, qu’il s’agisse du vétéran Michael Redgrave, qui fit des débuts fracassants dans UNE FEMME DISPARAÎT d’Alfred Hitchcock en 1938, ou de Freddie Jones (LE RETOUR DE FRANKENSTEIN, MEURTRE A HAUTE TENSION).
Tiré d’un roman, « Ask Agamemnon » (traduit par « L’ours qui savait » en France, car dans le livre, Agamemnon est le nom de l’ours en peluche de Jacki), GOODBYE GEMINI fait voyager le spectateur dans un Londres « underground », au son de musiques pop-rock enivrantes. Mais c’est avant tout une œuvre singulière de la part d’Alan Gibson, loin de ses réalisations pour la Hammer, bien que l’on y retrouve aussi, dans ces dernières, l’intérêt (et peut-être l’attachement) de l’auteur pour le Swinging London.


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- Article rédigé par : Philippe Chouvel

- Ses films préférés : Femina Ridens, Les Démons, Danger Diabolik, L’Abominable Docteur Phibes, La Dame Rouge Tua 7 Fois

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