Un texte signé Tom Flener

Italie - 1971 - Aldo Lado
Titres alternatifs : La Corta Notte delle Bambole di Vetro, Malastrana
Interprètes : Jean Sorel, Ingrid Thulin, Mario Adorf, Barbara Bach

retrospective

Je Suis Vivant

Le giallo peut être considéré comme LE genre italien par excellence. Et parmi ceux qui s’intéressent à ce genre, lequel n’a encore jamais entendu parler de Dario Argento ou de Mario Bava ? Cependant, à côté de ces deux grands maîtres, le giallo connaît une myriade de réalisateurs qui, à un moment ou à un autre, se sont essayés à ces krimis italiens. Aldo Lado en fait partie. Avant même de réaliser en 1972 un chef-d’œuvre du genre avec QUI L’A VUE MOURIR ? il a eu son baptême de réalisateur avec le moins connu MALASTRANA.
Le corps de Gregory Moore (Jean Sorel), un journaliste américain, est découvert à Prague. Bien qu’il soit déclaré mort, il est tout à fait capable d’enregistrer ce qui se passe dans son entourage. Par contre, il se trouve dans l’incapacité de bouger ou de communiquer. Tandis que les docteurs restent perplexes parce que sa température ne tombe pas, il tente de se rappeler les circonstances qui ont amené à sa présente situation.
Sa copine Mira (la ravissante Barbara Bach) a disparu. Alors que la police tchèque semble incapable de la retrouver, il mène sa propre enquête. Il se trouve que plusieurs jeunes femmes ont disparu dans de circonstances similaires au cours des années précédentes. Tandis que ses recherches aboutissent finalement au Club 99, une sorte de country club pour vieux riches, il devient lui-même le suspect principal pour la police.
Si la trame principale semble familière, c’est qu’elle a été faite et refaite avec plus ou moins de succès par presque chaque réalisateur qui a travaillé dans le genre. Mais si on croit pouvoir somnoler à travers une histoire maintes fois régurgitée, MALASTRANA arrive à surprendre dans sa deuxième moitié. D’une scène à l’autre, le film vire du giallo réaliste au conte surréaliste, en passant par des scènes felliniesques pour se terminer dans une apogée d’horreur pure.
Aldo Lado jouissait de 8 années, depuis l’avènement du genre avec LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP de Mario Bava en 1963, pour se familiariser avec les conventions du genre, et pour trouver un moyen de les corrompre. Même si, à la fin, il n’arrive pas à répondre à tous les « qui » et « pourquoi » de l’histoire, il est difficile de lui reprocher une quelconque mauvaise foi, tant c’est un plaisir de le suivre pour connaître la résolution finale. En débutant le film avec le héros à la morgue, Aldo Lado se refuse le privilège facile de la surprise, et décide de nous montrer le parcours plutôt que de nous faire attendre pour la destination.
Et il faut dire qu’il ne déçoit pas. Pour un premier long métrage, MALASTRANA est très maîtrisé dans le domaine de la mise en scène. Aldo Lado prend du temps pour composer ses plans et nous propose un Prague très beau et en même temps mystérieux. On peut ainsi considérer comme exploit que, dans un ensemble de scènes remarquables, Aldo Lado arrive en plus à nous concocter certains plans absolument sublimes, presque capables de nous faire oublier tout le reste. Une séquence de plans juxtaposant des gargouilles en pierre et des vieilles gens dans la rue est fascinante à regarder. En effet, Aldo Lado arrive à apporter une impression de menace par des images après tout assez innocentes. De plus, la scène aussi courte que remarquable où Gregory retrouve Mira dans son appartement reste dans les mémoires par sa beauté macabre. Enfin, la scène d’orgie finale est exceptionnelle dans son refus d’adhérer aux attentes du spectateur quant à son contenu (disons simplement que vous ne regarderez plus jamais vos grands-parents de la même façon).
Aldo Lado est bien servi par une brochette d’acteurs à la hauteur de la tâche. Comme dans la plupart des coproductions européennes de l’époque (il n’est pas rare de trouver des collaborations germano-italiennes parmi les gialli), la distribution internationale pose certains problèmes. Ainsi, il est presque impossible de retrouver les voix originales de tous les acteurs dans une seule version de synchronisation. Une appréciation réelle du talent des acteurs est ainsi dès le début impossible. Ceci dit, le choix des acteurs est supérieur à celui d’autres classiques du genre. Jean Sorel convainc en tant qu’investigateur américain à Prague. Il est parfaitement secondé par Ingrid Thulin et Mario Adorf, l’un des derniers grands dinosaures du cinéma et de la télévision allemande. Mario Adorf n’est d’ailleurs pas un étranger du cinéma italien. Il a travaillé, entre autres, pour Dario Argento dans L’OISEAU AU PLUMAGE DE CRISTAL (1970), pour Sergio Corbucci dans LE SPECIALISTE (1969) et pour Fernando di Leo dans MILAN CALIBRE 9 et LA MALA ORDINA en 1972. Ajoutons Barbara Bach, qui n’est décidément pas assez souvent à l’écran, et on peut dire que la mise en scène de Aldo Lado est supportée par un groupe solide et sans faille.
La musique d’Ennio Morricone arrive à créer une atmosphère oppressante. Si cette œuvre ne possède pas la qualité et la légèreté des compositions les plus mythiques du maestro italien, la musique s’intègre néanmoins parfaitement à l’ensemble.
Si Aldo Lado n’a montré qu’une présence occasionnelle et finalement minime dans le giallo, il a créé avec MALASTRANA une œuvre à part dans le genre, assez différente pour réserver quelques surprises aux vétérans, et assez réceptive aux conventions du genre pour ne pas déconcerter les fans. Et n’oublions pas l’une des fins les plus nihilistes du genre. Bref, à recommander sans réserve.


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- Article rédigé par : Tom Flener

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