Un texte signé Johannes Roger, Jérôme Vincent

USA - 1999 - Harmony Korine

retrospective

Julien Donkey Boy

Julien, débile léger, vit dans une famille peu banale. Sa sœur, à la fois figure maternelle compréhensive (en l’absence de vraie maman) et fille-mère fraîchement enceinte, est fascinée par la danse classique. Son frère s’imagine champion de lutte gréco-romaine. La grand-mère patauge grave dans la semoule. Toute cette smala est chapeautée d’une main de fer par une figure patriarcale dominatrice et cruelle (magistralement incarnée par un Werner Herzog surprenant, l’auteur d’AGUIRRE étant l’une des idoles de Korine). Ce père est obsédé par la réussite de sa progéniture.
JULIEN DONKEY BOY (Harmony Korine, USA, 2000) est un film Dogme, le premier tourné aux E.U. Vous le savez, cette charte de chasteté, instaurée par Lars Von Trier, impose un minimalisme cinématographique (tournage en vidéo, lumière naturelle, etc.…). On sait déjà que ce système peut aussi bien donner le meilleur (FESTEN), que le pire (LES IDIOTS, n’importe quoi pendant 2h00). Dans cette optique JULIEN DONKEY BOY est un paradoxe intéressant. En effet, si une certaine épuration est respectée, le film est aussi l’un des plus esthétisants dans le genre. Korine utilise des techniques que nous sommes plus habitués à voir dans des clips branchés ou dans des films de Wong Kar Wai : filage, jump cut, caméra espion collée sur les acteurs (technique aussi utilisée, cette fois à bon escient, dans le terrifiant SCHIZOPHRENIA de Gerard Kargl) saturation des couleurs et ajoutez à cela quelques références (APOCALYPSE NOW, LA NUIT DU CHASSEUR…). De plus, le récit multiplie les effets de montage expérimentaux aussi bien dans le domaine de l’image que dans celui du son. Cela déstabilise le spectateur et le prépare mieux à entrer dans l’univers schizophrénique et pathétique de Julien. Pari à moitié réussi.
La première partie du film se compose d’une série de sketches tragi-comiques : le frère de Julien lutte avec une poubelle en plastique récalcitrante (hilarant). Werner Herzog dévoile lors du repas familial toutes les vertus poétiques contenues dans la dernière scène de L’INSPECTEUR HARRY (bidonnant). Chloé Sevigny se fait passer pour sa mère défunte et console son pauvre frère au téléphone (émouvant). Et ainsi de suite. Toutes ces scènettes sont reliées entre elles sans grand souci de cohérence. Mais c’est un style nous dira-t-on !
Puis vient la très belle séquence de la patinoire. La sœur de Julien fait une chute et perd l’enfant. A travers cette rupture de ton assez brutale, Korine fait enfin naître un peu d’émotion dans son univers beaucoup trop formaliste pour être chaleureux. Julien est traumatisé par l’accident survenu à sa sœur, la seule personne qui le rattache à l’humanité. Après avoir volé le fœtus mort à l’hôpital, il se réfugie chez lui. Sous la couette rassurante et maternelle de son lit, il serre le petit cadavre contre son corps. Le dernier plan du film est identique au premier : une patineuse danse sur un air d’opéra. Mais la symbolique est cette fois différente, complexe d’Œdipe puissance 10, un peu facile diront certains…


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- Article rédigé par : Johannes Roger, Jérôme Vincent

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