La Bête élégante – perversion occidentale
La Bête élégante nous invite à une expérience étrange, surprenante et subversive…
Les Maeda sont composés de plusieurs membres peu fréquentables :
- Le père est un fainéant qui dilapide le peu de moyens financiers de la famille dans les jeux.
- L’argent provient, soit de son fils qui vole son employeur, soit de sa fille qu’il encourage à accepter les largesses provenant de ses amants.
- La mère, de son côté, ne propose aucune prise de conscience morale qui pourrait encourager tout ce beau monde à suivre une voie plus vertueuse.
Le contexte des années 60 au pays du Soleil-Levant
Lorsque le film sort sur les écrans en 1962, le Japon est alors au coeur de son miracle économique. Mais cette prouesse ne s’est pas réalisée sans mal. En effet, après la guerre, le pays était en ruine et la situation dramatique. La reprise économique ne s’est finalement fait ressentir qu’au début des années 50, après de nombreux sacrifices (un million de Japonais ont péri sous-alimentés), mais aussi au prix d’efforts importants et des transformations fondamentales imposées à la société nippone.
Ainsi, lorsque le père doit rappeler la misère de laquelle ils se sont tous extirpés, on sait de quoi il parle, mais on ne pense pas forcément que c’était en faisant des actions déloyales. Dès lors, le film égratigne l’image angélique de Japonais se distinguant par leur grande productivité et le respect de la hiérarchie.
En effet, pour les Maeda, tout est bon pour faire de l’argent, y compris prostituer la fille, voler le patron du fils, mentir… Et le spectateur n’est pas au bout de ses surprises lorsqu’il découvre que les individus subissant les fripouilleries de la famille Maeda ne sont pas tout blancs non plus… Diable, sur quelle base s’est donc construit le miracle économique japonais ?
À travers cette famille pervertie qui ne reflète en aucune manière la famille nippone traditionnelle, peut-être est-ce finalement le modèle social occidental que La Bête élégante pointe du doigt. En effet, en feintant son respect à l’autorité, le père perd par la même occasion le respect de ses enfants, provoquant de facto la déliquescence du modèle social japonais.
Une réalisation amusante
Bavard, doté d’une action se concentrant dans le seul appartement de la famille Maeda, La Bête élégante n’aurait pu être qu’une vulgaire pièce de théâtre filmée. Sauf que Yûzô Kawashima et son directeur de la photo Nobuo Munekawa composent des cadres magnifiques. Les images réussissent à réunir l’ensemble de la famille dans des plans serrés au sein d’un cinémascope employé avec ingéniosité et talent… Parfois sur le même niveau, d’autres fois sur des perspectives différentes, esseulés dans des pièces adjacentes… Plus loin, le désordre qui règne à certains endroits contraste avec le calme des acteurs…
Sur cet aspect visuel, le film de Yûzô Kawashima s’avère étonnant, tout autant qu’intrigant, puisque suggérant des rapports de force entre les protagonistes selon leur disposition dans l’image.
Le charme de la mise en scène peut également faire preuve d’une finesse amusante. L’un des exemples les plus cocasses est cette séquence durant laquelle le père utilise ses jumelles pour regarder le monde extérieur par la fenêtre. Comme Yûzô Kawashima filme en parallèle la fille prendre une douche, le spectateur a l’impression que le père se délecte de la vue de sa propre enfant nue.
En somme, La Bête élégante est un film qui allie avec excellence une mise en scène et un propos aussi originaux l’un que l’autre.