Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie - 1972 - Fernando Di Leo
Titres alternatifs : Milano calibro 9, Caliber 9
Interprètes : Gastone Moschin, Mario Adorf, Barbara Bouchet

retrospective

Milan calibre 9

Après avoir débuté en tant que scénariste sur les premiers westerns italiens (il a collaboré en 1964-1965, sans être crédité, aux scripts de POUR UNE POIGNEE DE DOLLARS et de ET POUR QUELQUES DOLLARS DE PLUS de Sergio Leone), Fernando Di Leo passe à la réalisation à la fin des années 60. Si sa filmographie est éclectique (on compte un film de guerre, des films érotiques, des comédies, un giallo…), il se spécialise néanmoins dans le film noir à tendance sociale et se fait connaître pour ce que l’on nommera rétrospectivement sa « trilogie du Milieu » : MILAN CALIBRE 9, L’EMPIRE DU CRIME (1972) et THE BOSS (1973). Le film qui nous intéresse ici est inspiré de l’univers très sombre de l’écrivain milanais Giorgio Scerbanenco que Fernando Di Leo a déjà adapté en 1969 pour son film LA JEUNESSE DU MASSACRE. MILAN CALIBRE 9 sort en 1972, période qui marque le début de l’âge d’or du polar à l’italienne et qui voit également le film noir et social s’épanouir en France, notamment à travers les premiers films du très sous-estimé Yves Boisset (CRAN D’ARRET en 1970, adaptation d’un roman de … Scerbanenco ; LE SAUT DE L’ANGE, 1971…). Cet âge d’or du « poliziottescho » qui brillera jusqu’en 1975-76 est partagé entre une approche progressiste du contexte politique par des auteurs comme Fernando Di Leo ou Sergio Sollima (REVOLVER, 1973) et une vision ouvertement réactionnaire comme celle qui traverse les films parfois contestables d’Umberto Lenzi (LA RANÇON DE LA PEUR, 1974).

A sa sortie de prison, le gangster Ugo Piazza est harcelé par Rocco Musso ; ce dernier, qui travaille sous les ordres de « l’Américain » veut lui faire avouer qu’il a bien dérobé 300 000 dollars appartenant à son chef avant d’être arrêté. Par ailleurs, Ugo est également surveillé de très près par la police de Milan et se voit contraint de reprendre du service pour « l’Américain » qui lui donne quelques jours pour révéler où se cache le butin. Dans le même temps, Ugo renoue avec sa petite amie Nelly et avec son complice Chino qui ne tarde pas à être accusé du meurtre d’un homme de Rocco. C’est le point de départ de règlements de comptes sanglants.

Une séquence pré-générique au montage très serré nous plonge «in medias res » au cœur tumultueux d’un univers ultra-violent : en quelque cinq minutes et après une « livraison » qui a mal tourné, tous les personnages entrevus sont brutalement corrigés par Rocco Musso et sa bande. Tabassées, tailladées à coups de rasoir, les victimes, hommes et femme sans distinction, sont finalement ligotées et … dynamitées ; le générique qu’accompagne l’excellente musique rock progressif du groupe Osanna permet au spectateur de reprendre son souffle. Pas très longtemps puisque Rocco et ses hommes s’attaquent à Ugo dès sa sortie de prison (après le générique/ellipse de trois ans) ; menacé, passé à tabac, ce dernier oppose à la violence hystérique de Rocco une tranquille résignation. Le calme hiératique dont fera preuve Ugo durant la majeure partie du métrage contraste fortement avec les éclairs de violence qui vont progressivement envahir le film ; pour résumer : deux clans vont s’affronter, les « anciens » avec leur code d’honneur et les « nouveaux » sous les ordres de l’Américain sans foi ni loi. Désabusé, presque en retrait par rapport à l’action, Ugo incarne une belle figure d’antihéros échappé de l’univers tragique de Jean-Pierre Melville, réalisateur que Fernando Di Leo admirait et avec lequel il devait travailler. Taciturne, solitaire et énigmatique (pendant tout le métrage, il est impossible de deviner si celui-ci a dérobé ou non l’argent du gros caïd), ce personnage archétypal du polar est interprété avec talent par le méconnu Gastone Moschin, que l’on retrouvera dans un rôle secondaire dans LE PARRAIN II de Francis Ford Coppola (1974). Ugo et Rocco dont les caractères antinomiques vont s’entrechoquer, forment en fait l’un des maillons de MILAN CALIBRE 9 qui va développer un complexe récit d’affrontements (deux générations de gangsters, les malfrats et la police, les énergies intérieures et extérieures…) dont l’absurdité est constamment soulignée par un scénario ironique qui ne cherche jamais à magnifier ses personnages. Peinture d’un microcosme replié sur lui-même (la société « civile » n’est pratiquement pas représentée) et où le profit à n’importe quel prix est le seul ressort, le film dessine un sous texte abordant la critique d’une société italienne, et d’une ville, Milan, gangrenée par la violence, la corruption et l’argent de la drogue. A cet égard, impossible de ne pas voir dans les explosions de colis piégés que les bandits mettent au point un reflet des attentats politiques qui ensanglantent le pays en cette époque des « années de plomb ». Mais la critique sociale est aussi présente et de façon plus inattendue dans les discours opposés tenus par deux inspecteurs de police : tandis que l’un (joué par Franck Wolff) est clairement réactionnaire et expéditif, l’autre (interprété par Luigi Pistilli) développe une rhétorique de type marxiste ! Encore un affrontement…
Si le scénario est bien écrit mais sans surprise, excepté un remarquable double « twist » final, MILAN CALIBRE 9 brille en tout cas par sa caractérisation irréprochable et son excellente direction d’acteurs : chaque personnage a une vraie épaisseur dramatique et l’on n’oubliera pas de sitôt le jeu intériorisé de Gastone Moschin ni celui « cocaïné » de Mario Adorf (Rocco). Ce dernier, que l’on a pu voir aussi bien chez Sam Peckinpah (MAJOR DUNDEE, 1965) que dans une multitude de film « bis » italiens (le traumatisant LA LAME INFERNALE de Massimo Dallamano, 1974) incarne une sorte de « cousin » du Joe Pesci survolté des films de Martin Scorsese. Impossible également d’oublier la scène de danse sexy qui introduit la belle Barbara Bouchet (que l’on peut admirer sous toutes les coutures dans l’excellent LA LONGUE NUIT DE L’EXORCISME de Lucio Fulci, 1972) : la caméra la filme en contre plongée oblique, un bel effet de style qui nous la rend à la fois irrésistible et insaisissable…Quant au règlement de comptes final, il prend la forme d’un incroyable « gun-fight » très stylisé qui semble même préfigurer ceux de John Woo (!) par sa radicalité formelle et par l’ aspect libérateur qui s’en dégage.
En conclusion, MILAN CALIBRE 9 s’impose comme l’un des meilleurs titres du polar à l’italienne : noir, pessimiste, violent, il est un tableau saisissant d’une époque peu reluisante ; ses thèmes et ses personnages universels en font un film d’une belle modernité qu’il est urgent de (re)découvrir. Il est donc un peu regrettable que Fernando Di Leo n’ait pas creusé davantage la veine du « poliziottescho », n’offrant ensuite au genre que des œuvres peu ambitieuses ou semi-parodiques (I PADRONI DELLA CITTA, 1976).


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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