Un texte signé Philippe Delvaux

retrospective

Le massacre des morts-vivants

Jeune antiquaire vaguement hippie, Georges s’en va passer le week-end dans son cottage de campagne, mais est percuté en chemin par Edna qui rend visite à Katie, sa sœur héroïnomane, et son mari Martin. La moto de Georges étant endommagée, il demande à la jeune femme de le déposer sur son chemin mais tous deux finissent par se rendre à la destination de celle-ci. Dans le petit village, des phénomènes inquiétants se produisent : des nouveaux nés se montrent agressifs et, bien plus grave, un SDF rode… alors qu’il s’est noyé une semaine plus tôt. Y aurait-il un rapport avec les expériences d’agriculture scientifique menées dans la région ? Et quand se produit un premier meurtre, la police préfère la piste, plus rationnelle, d’un crime commis par ces dégénérés de hippies.

D’habitude, nous replaçons un film dans son contexte et cherchons à proposer des pistes de lecture, pour en faire ressortir les angles saillants, les thèmes, bref pour en éclairer sa vision.

Nous nous en abstiendrons cette fois-ci, de même que nous briserons une autre règle de Sueurs Froides qui nous fait parler des films plutôt que de leurs supports d’exploitation. La raison en est que LE MASSACRE DES MORTS-VIVANTS connait une nouvelle visibilité en France par la sortie fin 2015 de son édition dvd chez Artus et que celle-ci propose en bonus une très longue et très complète intervention de Didier Didelot qui nous parle du film pendant rien moins que cinquante minutes. Que dire de plus ? Comment le dire mieux ? Nous nous abstiendrons et vous renvoyons à cette présentation de référence qui vous expliquera tout ce qu’il y a à savoir du film, de sa conception à son exploitation, avec moult anecdotes. S’il fut un temps où l’exploitation vidéo du cinéma bis était rare en France (Ah, feu Neo Publishing), on peut aujourd’hui s’enthousiasmer de l’extraordinaire travail du Chat qui fume, d’Ecstasy of films, de Bach Films ou, dans le cas qui nous occupe ici, du très actif Artus.

LE MASSACRE DES MORTS-VIVANTS propose un des exemples les plus brillants du cinéma de zombie, dans son versant espagnol, dont l’heure de gloire précéda de peu l’italien, lequel la submergera quelques années plus tard. Et le générique montre bien que, si le réalisateur est espagnol (dont Sueurs Froides a déjà chroniqué CARTAS DE AMOR DE UNA MONJA, CÉRÉMONIE SANGLANTE… et déjà, sous une autre plume, notre MASSACRE DES MORTS-VIVANTS) l’essentiel de l’équipe est déjà italienne.

A la base, ce film de commande est proposé à Jorge Grau comme une relecture, en couleur, de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS, œuvre décidemment matricielle de Romero. Jorge Grau y ajoute des accents distinctifs en situant l’action en Angleterre (l’Espagne franquiste n’acceptant de toute manière des productions horrifiques que pour autant que l’intrigue soit déplacée hors de son territoire), ce qui confère aux résultats une coloration qui trouve parfois sa source dans le gothique (le cimetière ou l’architecture de l’hôpital), genre en vogue des années ’60 tant en Espagne qu’en Italie ou, dans sa patrie d’origine, la Grande-Bretagne, mais qui cédait à l’époque du terrain, remisé petit à petit par la nouvelle horreur incarnée alors entre autres par… LA NUIT DES MORTS-VIVANTS. LE MASSACRE DES MORTS-VIVANTS peut donc se voir comme une œuvre de transition entre le gothique et le zombie moderne (du moins dans son itération des années ’70). Le cadre campagnard a également régulièrement permis une déclinaison spécifique de l’horreur.

LE MASSACRE DES MORTS-VIVANTS offre déjà nombre de scènes gore, contrairement à son modèle Romerien, lequel va cependant prendre la mesure de cette évolution dans son ZOMBI alors encore à venir. On y fourrage donc gaillardement les entrailles et les viscères et on énuclée à tout-va.

Si on creuse une piste non avancée par Didier Didelot (et il faut fouiller pour trouver quelque chose à dire), on pourra avancer une intéressante séquence où Martin, photographe, programme son appareil pour qu’il prenne en série des photos d’un paysage. Attaqué pendant cette opération par un zombie, Martin succombe sous les yeux effrayés de Katie, et ceux – indifférents – de l’objectif. Le meurtre photographié, voici qui n’est pas sans évoquer BLOW UP, ce que confirme un début d’enquête de Georges et Edna. Et l’objectivation de la prise de vue, déconnectée du regard du photographe, qui est réduit à ne plus devenir que le sujet de sa propre mort, introduit une dimension moderniste à ce premier meurtre du film. Il y a en outre un jeu sur ce regard vide, puisqu’il est à la fois celui dénué de vie de l’appareil photographique, et celui qui l’est tout autant des morts vivants.

Réalisé avec sérieux, LE MASSACRE DES MORTS-VIVANTS n’a pas mal vieilli, si on garde à l’esprit qu’on se situe dans l’esthétique et le traitement seventies du zombie. Il conserve quelques accents thématiques qui ne déparent pas de nos jours, telle la prise de position écologiste et se révèle au final une œuvre, si pas fondatrice, du moins importante de ce genre.

Il fut programmé en 1976 au Festival du film fantastique d’Anvers et connut En France une sortie tardive en salle, en 1980.

Retrouvez une précédente critique de ce film


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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