Un texte signé Vincent Trajan

Argentine - 2013 - Lucia Puenzo
Titres alternatifs : Wakolda
Interprètes : Àlex Brendemühl, Florencia Bado, Natalia Oreiro, Diego Peretti, Elena Roger

Dossierreview

Le Médecin De Famille

Après les récentes sorties de XXY (2007) et d’EL NIÑO PEZ (2009), la jeune réalisatrice et romancière Argentine Lucia Puenzo revient avec un nouveau film, LE MEDECIN DE FAMILLE, œuvre récemment à l’affiche du dernier festival de Cannes.
Adapté de son quatrième roman “Wakolda”, la réalisatrice s’attaque à un pan sombre de l’histoire de son propre pays. En Patagonie en 1960, Eva, Enzo et leurs trois enfants ouvrent un hôtel à Barioche. Leur premier hôte, un certain Helmut Gabor est un médecin allemand qui les séduit par son charisme, l’élégance de ses manières, son savoir et son argent. Obsédé par la pureté et la perfection, l’homme s’intéresse vite à Lilith, leur fillette de 12 ans trop petite pour son âge et propose à ses parents un traitement expérimental pour remédier à son retard de croissance. Alors que la traque d’un autre nazi réfugié en Argentine, Adolf Eichmann, est en cours, une jeune photographe, Nora Edloc, est vite convaincue que cet étrange médecin n’est autre que Josef Mengele, l’Ange De La Mort…
Petit à petit, le médecin s’immisce dans la vie de la famille de Lilith (il surveille aussi de près la grossesse d’Eva qui attend des jumeaux) et tisse avec la jeune fille une relation étrange au travers de laquelle se mêlent ambiguïté et séduction. A la fois cobaye et objet de convoitise, la fillette devient peu à peu l’obsession de Mengele. Sa proie.
Cette tranche de vie “ordinaire” prend vite la forme d’une chronique malsaine sur la fuite en avant d’un homme partagé entre le désir de se faire oublier par tous (les agents du Mossad sont en Argentine) et l’envie irrépressible de continuer ses expérimentations de si tristes renommées. Lucia Puenzo maîtrise son sujet à merveille en contrebalançant cette atmosphère dérangeante par des images somptueuses de La Patagonie et une lumière très chaleureuse. Une manière habile de mettre en relief l’horreur de la situation, sans jamais vraiment la montrer et ce, même si certaines scènes sont d’une redoutable efficacité. Ainsi, la vision des nombreuses poupées d’Enzo, démembrées et entassées les unes sur les autres renvoie irrémédiablement le spectateur aux terribles images des victimes des camps de concentration. A l’inverse, une fois les poupées créées, leurs visages de porcelaine sans défaut et leurs parfaites mensurations rappellent la fascination de la pureté de Josef Mengele.
A la fois habile et subtile dans sa manière de construire son film autour de la relation Lilith / Mengele, Lucia Puenzo n’en oublie pas pour autant de décrire la société Argentine au lendemain de la guerre, sans tomber dans la facilité de dépeindre son pays juste comme une simple terre d’accueil pour nazis en fuite.
Mais la force du film tient surtout dans le duo composé d’Alex Brendemühl en prédateur méticuleux tout en retenu (la scène du cinéma) et la jeune Florencia Bado qui oscille entre innocence et séduction. Toujours sur le fil du rasoir, le jeu du chat et de la souris entre les deux personnages change peu à peu de prisme de vision à mesure que le corps de la jeune Lilith passe de l’enfance à l’adolescence, de la pureté à l’objet de convoitise, à l’attirance. Pourrait-elle apprivoiser l’Ange de la Mort ?
Ceci étant, malgré son envie de (trop) bien faire et d’affirmer son point de vue sur la politique du président Peron après la Seconde Guerre Mondiale, Lucia Puenzo n’évite pas certains écueils assez dérangeants à la fois sur le fond et sur la forme.
Ainsi, à force de trop vouloir présenter le Docteur Mengele comme un véritable monstre sans âme, la réalisatrice dresse (malgré elle ?) une véritable frontière entre le personnage du film et le spectateur. De fait, on se sent un peu comme étranger aux agissements de Mengele et on a du mal à véritablement rentrer dans sa vie et dans celle de la famille de Lilith, tant le parti pris est trop manichéen et manque un peu de hauteur.
Du côté du formalise du film, Lucia Puenzo nous propose de superbes images lumineuses des vastes paysages de la Patagonie tournées en Cinemascope, ce qui tranche avec le propos très sombre du scénario, mais pêche parfois par une réalisation trop classique. On sent que la metteuse en scène manque encore un peu d’expérience derrière la caméra (ce n’est que son troisième long métrage), ce qui l’empêche de sortir des sentiers battus et parfaitement balisés du genre. Et là où le bât blesse, c’est que sa réalisation trop académique ne retranscrit pas pleinement la force du roman “Wakolda”, alors même que LE MEDECIN DE FAMILLE se veut comme une adaptation fidèle et pointilleuse du livre…
En définitive, malgré son côté un peu trop scolaire, on ne peut que saluer le travail de Lucia Puenzo qui signe un film fort, finement travaillé et qui a le mérite de s’attacher à ce qu’aurait pu être la vie de Josef Mengele au début des années 60, lors de son installation à Barioche pendant quelques temps, dont on ne sait rien aujourd’hui encore…


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- Article rédigé par : Vincent Trajan

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