Un texte signé Alexandre Thevenot

USA - 1959 - Ranald MacDougall
Titres alternatifs : The world, the flesh and the devil
Interprètes : Harry Belafonte, Inger Stevens et Mel Ferrer.

FEFFS 2012retrospective

Le monde, la chair et le diable

Ralph Burton, Afro-Américain et ouvrier, travaille sous terre. Un éboulement survient et il est alors contraint d’attendre durant cinq jours l’arrivée des sauveteurs. Alors qu’il vit patiemment à l’écoute des bruits que font les secours, ces derniers stoppent leur activité. Il ne semble y avoir plus personne. Ralph Burton décide alors de remonter seul. Avec quelques efforts et un peu de chance, il y parvient mais lorsqu’il émerge du sol, c’est la stupeur, l’humanité a disparu. Il semble être le dernier homme sur Terre.
C’est sur ce postulat que débute LE MONDE LA CHAIR ET LE DIABLE, film de science-fiction américain réalisé en 1959 par Ranald MacDougall. A l’heure où l’on parle essentiellement du récent JE SUIS UNE LEGENDE avec Will Smith, il faut se souvenir que ce type de film de science-fiction ne date pas d’hier. Les prémices d’un homme qui se retrouve seul au monde débutent dès 1923 avec le court-métrage PARIS QUI DORT de René Clair dans lequel un savant parvenait à arrêter le monde. Le personnage principal parcourait alors les rues de Paris en croisant des individus immobiles et figés, stoppés net dans leurs actions. Rencontrant par la suite d’autres survivants, ils s’amusaient ensemble quelque temps jusqu’à ce que le cours du temps reprenne.
LE MONDE LA CHAIR ET LE DIABLE se divise en trois parties distinctes.
La première, et qui occupe presque la moitié du métrage, s’attache à suivre le quotidien de Ralph Burton et apporte une réflexion sur la notion de solitude. Le personnage principal déambule dans les rues de New York. La manière dont il est filmé et ses réactions sont judicieusement montrées par des choix de mise en scène qui deviendront par la suite des modèles dès lors qu’un film voudra aborder ce genre. A titre d’exemple parlons du jeu des champ/contre-champ et des plongée/contre-plongée. Grâce à eux, le réalisateur met bien en perspective la petitesse d’un homme cerné par une ville vidée de toute vie, une ville bâtie par des milliers d’hommes et aujourd’hui déserte. Le réalisateur parvient également à mettre en exergue le rapport qui s’instaure entre l’individu et des mannequins trouvés en magasin (dernière représentation de l’apparence humaine, mais immobile et sans vie). D’ailleurs, Ralph Burton en emmène deux chez lui, un mannequin homme et un mannequin femme. Dans leurs postures figées, ils vont tenir un semblant de compagnie au héros. Ralph Burton se crée lui-même cette compagnie en les faisant parler, en les mettant en scène, en les faisant vivre. Il est intéressant de prêter attention à la relation qu’il entretient avec ces personnes inanimées : elle est une sorte d’avant-goût de ce qui va suivre. Ces séquences, aujourd’hui des archétypes du genre, ont été reprises dans notamment JE SUIS UNE LEGENDE ou encore LE DERNIER SURVIVANT de Geoff Murphy. Les scènes sont là quasi-identiques.
Alors qu’aujourd’hui la plupart des films post-apocalyptiques s’attachent à montrer des cadavres, des infectés, etc, pour faire croire à une fin totale de l’humanité, LE MONDE LA CHAIR ET LE DIABLE a joué la carte de la sobriété. Un seul acteur est filmé, il n’y a pas de flash-backs. L’explication et le déroulement des évènements se fait par l’écoute d’un enregistrement radio antérieur à la catastrophe. Cela confère au film un aspect presque plus angoissant puisque le réalisateur se contente de filmer le vide. La seule humanité ou réalité perceptible, hormis les mannequins, serait celle du vent qui balaye le sol des rues emportant avec lui des prospectus égarés et autres déchets abandonnés.
La deuxième partie du film voit la venue d’une survivante blanche avec qui Ralph Burton va se lier. Là naît pour la première fois un signe d’espoir. Un homme et une femme annoncent dès leur réunion la construction possible d’une nouvelle humanité. Se dotant d’une forte symbolique biblique, c’est une sorte de nouvel Eden qui se met en place. Les deux personnages s’entraident et s’attachent à rendre leur existence plus confortable. Cependant, tout n’est pas parfait. Dès le début de leur relation, la question raciale est soulevée. Et leur différence, exprimée de façon minime au début, aura un fort impact par la suite.
La troisième et dernière partie du film voit l’apparition d’un troisième individu que sauve Ralph Burton par bonté et foi en l’humanité. Cet homme blanc qui arrive par la mer fait éclater les différences entre les personnages. Ralph Burton se retrouve à nouveau dans une position d’infériorité. Le propos du film devient à ce moment-là beaucoup plus engagé. A la fable métaphysique du début puis à l’espoir d’une reconstruction possible, succède une réalité plus dure : le retour des conflits au sein d’un microcosme appelé à devenir macrocosme. Même après une fin du monde, ce sont finalement les mêmes problèmes qui réapparaissent. Si cette catastrophe a traumatisé les survivants, elle n’a en aucun cas enterré leur système de valeur. La femme montre toujours autant de méfiance envers l’homme noir. Quant à l’homme blanc, son apparente gentillesse se transforme vite en symbole de corruption. Il veut s’accaparer la seule femme et en finir avec Ralph, une cohabitation à trois se révélant selon lui impossible.
La vision de LE MONDE LA CHAIR ET LE DIABLE paraît indispensable pour comprendre qui a véritablement posé les bases d’une mise en scène de nombreuses fois reprise dans les films de fin du monde. En outre, il se démarque totalement des autres productions de science-fiction de l’époque, qui s’attachaient énormément à décrire des invasions extraterrestres. Différent et moderne, LE MONDE LA CHAIR ET LE DIABLE livre un propos beaucoup plus réaliste sur l’homme. Et grâce à sa mise en scène, son esthétique et son scénario, il parvient à construire un propos percutant faisant échos aux torts de la société américaine.


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- Article rédigé par : Alexandre Thevenot

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