Un texte signé Clara Sebastiao

Canada, France - 1992 - Jean-Claude Lauzon
Titres alternatifs : Leolo
Interprètes : Maxime Collin, Ginette Reno, Julien Guiomar, Yves Montmarquette

review

Leolo

« Parce que moi je rêve, moi je ne le suis pas … ». Mais que n’est pas LEOLO? LEOLO n’est pas un deuxième TOTO LE HEROS, encore moins un long fleuve tranquille. Léolo n’est pas comme les autres, sa famille. Tout d’abord, il n’est pas canadien mais italien et refuse qu’on l’appelle Léo. C’est sous le nom de Léolo Lozone que notre héros déambule dans les rues d’un Montréal des bas-fonds, un Montréal crasseux, étrange et fascinant dans ses yeux d’enfant. Pour oublier la misère de cette vie peuplée de fous Léo rêve, Léo écrit et s’invente une vie à hauteur de gamin : un gamin qui regarde sous les jupes de sa belle voisine Bianca, un gamin qui lit à la lumière du frigidaire, un gamin qui se rêve valet et héros de ses frères et sœurs. Enfin, LEOLO n’est pas une satire sociale, ni un film politique, c’est une chronique d’une adolescence, une fable humaniste cruelle, surréaliste mais d’une tendresse et d’une poésie infinie.

Inspiré du roman L’avalée des avalés de Rejean Ducharme, et de la vie de son réalisateur, LEOLO est le dernier film de Jean-Claude Lauzon qui décèdera d’un accident d’avion en 1997. Le scénario a pendant de nombreuses années hanté l’esprit de Lauzon, écrit bien avant ZOO DANS LA NUIT (film d’ouverture de la Quinzaine des réalisateurs en 1987) il est impulsif, fulgurant. L’auteur est assaillit d’images qu’il faut absolument coucher sur papier, tout le processus d’écriture se déverse en un flot continu de flashs à mettre en forme. Ces apparitions sont d’abord liées à l’enfance de Lauzon. Fils d’une famille d’obèses et d’un père ouvrier, il fuit à 17 ans les études et le nid familial pour travailler à l’usine, et s’attire des problèmes auprès de la police. Chez lui, il n’y a qu’un seul livre, servant à caler un pied de table. Alors, pour palier à cette pauvreté intellectuelle, Lauzon écrit sur sa famille, ses amis, sur les gens qui l’entourent.
La vraie vie du réalisateur ne commence qu’avec l’intrusion d’André Petrowsky dans son existence, son « dompteur de vers », celui qui l’initiera à la poésie et à l’écriture. Sexologue à l’Office Nationale du Film du Canada, Petrowsky repère rapidement le talent de Lauzon pour l’écriture. C’est grâce à lui que ce dernier découvrir les plaisirs de la lecture et se lance dans l’univers du cinéma. Il dédiera d’ailleurs LEOLO à ce dompteur qui a su canaliser sa violence pour la transformer en force créatrice.
Tout comme Léolo, Lauzon adore la plongée sous-marine, et volait les pièces de 25 cents destinées à payer les pintes de lait pour s’acheter une tenue de plongeur. Tout comme lui également, il se révolte contre l’école et attaque clairement l’institution scolaire, bien que Leolo et Lauzon le fassent de deux manières différentes, le message reste le même. Il s’agit là de la seule dénonciation volontaire de l’œuvre.
Enfin, le plus grand point commun entre l’auteur et Léolo est l’amour qu’ils portent à leur mère. LEOLO est un hommage aux mères, à la mère forte, pilier d’une famille qui part en lambeaux, à la mère douce et amoureuse qui aura pour litanie « Fais comme maman mon chéri, pousse ! » persuadée que la santé vient en déféquant. Grâce à cette mère, Lauzon montre que malgré la crasse et la pauvreté personne n’est malheureux, on se contente des petits riens et des sourires attendris d’une maman disponible et toujours à l’écoute. Lauzon raconte ici un grand mensonge (l’histoire fictive de Léolo), à partir d’une grande vérité (l’histoire de sa propre vie), et montre même la vérité de sa maison d’enfance aperçue au début du film.

Jean-Claude Lauzon réunit petit à petit l’équipe qui donnera vie à LEOLO. La production est exclusivement féminine avec Lyse Lafontaine (JESUS DE MONTREAL, MOMMY) au Canada et Isabelle Fauvel pour la co-production française à l’égide de Flach Film. Il a été facile de convaincre les partenaires au Canada, Lauzon étant déjà une étoile montante grâce à ZOO DANS LA NUIT et ses publicités et courts-métrages. La France se montra plus réticente mais Lyse Lafontaine réussit à dénicher sur la Croisette une précieuse partenaire française.
Malheureusement, les soucis financiers et les problèmes météorologiques amputent le scénario original de 33 pages.
Le casting quant à lui est composé d’un acteur professionnel seulement, Julien Guiomar (BORSALINO, L’AILE OU LA CUISSE), le grand-père de Léolo. Jean-Claude Lauzon sélectionne ses acteurs en se basant exclusivement sur leur physique, c’est pourquoi il choisit Ginette Reno (chanteuse populaire canadienne) dans le rôle de la mère, et Yves Montmarquette dans le rôle de Fernand, le grand frère culturiste.
Lauzon choisira d’accompagner musicalement le fourmillement incessant des rues de Montréal avec Tom Waits, les Rolling Stones, sœur Marie Keyrouz et Nunat Fateh Ali Khan, créant une atmosphère onirique d’un côté et survoltée de l’autre.
Le film qui bénéficia d’un budget de 1.5 millions de francs, fait la clôture de la sélection officielle à Cannes en 1992 et est très bien accueilli par le public français qui peut le voir en salle grâce à 22 copies. Le public canadien, quant à lui, sera désarçonné par le rôle incongru de Ginette Reno et boudera un peu le petit Léo.

Enfin, en guise d’anecdote pour conclure cette partie technique : l’appartement du dompteur de vers est cité dans le sous-sol de la Cinecitta à l’entrepôt des statues de Fellini. On y aperçoit donc la chaise des DAMNES de Visconti, et les bibliothèques du NOM DE LA ROSE.

LEOLO est un film jonglant constamment entre la comédie et le dramatique, toujours en empruntant à la poésie ce qu’elle a de plus noble et de plus envoutant. Vous croiserez au détour d’une vie une tomate fécondée de semence italienne, une viande tranchée en son milieu en guise de masturbateur, et une dinde bien grasse dans une baignoire. Mais aussi un enfant qui rêve, fée parmi les monstres, qui appelle Bianca son amour, son bel amour, son seul amour, et qui au fond d’une piscine gonflable découvre des trésors.
« Parce que moi je rêve, moi je ne le suis pas … »


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- Article rédigé par : Clara Sebastiao

- Ses films préférés : Mais ne nous délivrez pas du mal, Sayat Nova, Amer, Kissed, Naked Blood


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