Un texte signé Philippe Delvaux

Italie - 1966 - Alberto Cardone (Albert Cardiff)
Titres alternatifs : 1000 dollari sul nero, Sartana, Blood at sundown, $1000 on the black
Interprètes : Antonio De Teffé, Gianni Garko, Carlo D'Angelo, Sieghardt Rupp, Erika Blanc, Angelica Ott, Daniela Igliozzi, Olga Solbelli, Carla Calò

retrospective

Les colts de la violence

Après 12 ans de prison pour un meurtre qu’il n’a pas commis, Johnny rentre dans son village. Mais, comme une embuscade l’en prévient, il n’y est pas le bienvenu, coincé entre son frère Sartana, alias « Le général », qui rackette la région et lui a volé sa fiancée, et les villageois qui le tiennent toujours pour le coupable qui aurait dû être pendu.

Nous sommes en 1966, en plein âge d’or du western italien. Rien que cette année, pas moins de 62 westerns seront produits en Europe, la plupart en Italie ou en Espagne, quelques-uns en Allemagne.

Comprendre le titre original ne va pas de soi et les distributeurs français lui ont logiquement préféré ces Colts de la violence très passe-partout. Le titre italien, 1000 DOLLARI SUL NERO, semble à première vue mystérieux, ce western ne développant pour une fois pas d’enjeux monétaires, hormis le racket opéré par Sartana. Et on ne voit pas non plus à quoi réfère le noir. Tout au plus peut-on rapprocher ce titre d’autres qui lui sont similaires : dérivant bien entendu du fondateur POUR UNE POIGNÉE DE DOLLARS, on peut suivre l’inflation : , 7 DOLLARI SUL ROSSO (déjà d’Alberto Cardone), 100 DOLLARS MORT OU VIF, 5.000 DOLLARI SUL L’ASSO, 10.000 DOLLARI PER UN MASSACRO, 20.000 DOLLARS POUR UN CADAVRE, 20.000 DOLLARS SUR LE 7 (encore d’Alberto Cardone), 20.000 DOLLARI SPORCHI DI SANGUE (de devinez qui… mais oui, Alberto Cardone qui passe du statut d’amateur à celui de fétichiste du billet vert !), 100.000 DOLLARS POUR LASSITER, 100.000 DOLLARI PER RINGO, et – le crésus du lot – : 200.000 DOLARES PARA DIEZ CADAVERES ! A l’époque, le choix des titres répond parfois moins à une tentative de cerner les contours ou les enjeux du film qu’à la préoccupation de se placer dans le sillage d’un titre concurrent ayant rencontré le succès. Et c’est dans cette liste de titres que réside la clé : en 1966, Alberto Cardone dirige coup sur coup 2 westerns aux arguments en miroir. Dès lors, leurs titres jouent en renvoi : 1000 DOLLARI SUL NERO est simplement le pendant de 7 DOLLARI SUL ROSSO. Le décalage des sorties françaises (le premier sortant en 1970, retitré LES COLTS DE LA VIOLENCE, le second en 1968 retitré GRINGO JOUE SUR LE ROUGE) rendant difficile la compréhension de ce jeu, on comprend mieux les retitrages français. Dans les deux cas, l’argument renvoie à des conflits familiaux, GRINGO JOUE SUR LE ROUGE montrant l’affrontement d’un père, dont le fils, enlevé enfant, est devenu un tueur. Là encore, le héros se prénomme Johnny et est également joué par Anthony Steffen.

A noter qu’il s’agit ici de la première apparition d’un Sartana. Il est incarné par Gianni Garko, qui trouve ici son premier grand rôle en l’inscrivant dans la lignée des salopards du western italien : violent, pernicieux, brutal, mauvais, irrespectueux, sans-gêne, malotru et psychopathe. Un véritable archétype, mais parfaitement truculent. La verve qu’il insuffle dans son interprétation sera pour beaucoup dans le succès du film. L’Allemagne réservant un triomphe à SARTANA (titre d’exploitation local), il ne faudra pas longtemps avant que les producteurs se décident à monter d’autres films autour de ce personnage… celui-ci devenant alors un justicier. Et comme de bien entendu, de nombreux faux Sartana verront de surcroît bientôt le jour, au gré des retitrages de distributeurs à l’affut du bon coup commercial. Ainsi, en l’espace de six ans, pas moins d’une vingtaine de Sartana sortiront en France !

A ses côtés, le héros, Johnny, est joué par le sociétaire du western italien, Anthony Steffen. Entre 1965 et 1971, celui-ci ne tournera que dans des westerns, une grosse vingtaine au total. A l’époque, il est une véritable star.

Ces COLTS DE LA VIOLENCE ne font pas partie des incontournables, mais valent quand même le coup d’œil.

En termes de réalisations, on retrouve la grammaire du western à l’italienne, avec ses tics et ses classiques, notamment les contre-plongées, mais imparfaitement maitrisée, et le montage des scènes d’action souffre parfois de raccords peu heureux. Dès le début, on sent l’influence « Léoniene », ne fut-ce que par le Deguello signé Michele Lacerenza clairement situé dans le prolongement de ceux livrés à l’époque par Ennio Morricone.

LES COLTS DE LA VIOLENCE ont cependant un peu le cul entre deux chaises. D’une part, on se situe dans un monde violent et sale, typique du western italien de la première époque, mais d’autre part, on présente un héros bien moins porté sur les tueries que nombre de ses congénères. Certes, c’est compréhensible eu égard au personnage, un innocent tombé dans un piège, mais cette posture s’intègre mal à l’environnement. Car dans ce théâtre de la cruauté, on assistera à de nombreux massacres, y compris d’une femme abattue de dos ou d’une (grand) mère avec son bébé piétinée par un cheval (hors champ cependant). Au rang des anecdotes, on note que Jerry se propose comme bombe humaine pour se débarrasser de Sartana… un film d’avant notre époque des attentats-suicides ! Mais l’action est souvent aussi plus légère : Alberto Cardone aime les bagarres à mains nues qu’il filme longuement, parfois plus que de raison. C’est d’ailleurs un des reproches qu’on peut lui adresser : le réalisateur traine parfois trop longuement ses scènes, comme lors du meurtre du juge par Sartana, meurtre dont on se demande d’ailleurs encore quels en étaient les motifs. Le délitement temporel est certes une caractéristique de certains des meilleurs westerns spaghettis, mais il s’agit d’une démarche risquée, qui implique une parfaite maitrise de son art pour produire ses effets. Une erreur dans la gestion du montage et du rythme et la scène tombe à plat. Et ici, il n’est de toute manière pas question de jeux sur la durée d’une action mais plutôt d’une trop grande complaisance de la caméra. Un resserrement aurait été bénéfique à nombre de séquences.

Signé Ernesto Gastaldi, qui a participé aux scripts d’une bonne partie du cinéma italien de genre de l’âge d’or, le scénario propose quelques idées intéressantes : les ennemis sont frères, et leur mère qui règne désormais par la terreur sur la région est une ancienne servante dévorée de rancune à l’encontre de la société. Sa préférence va à Sartana, qui la venge par procuration. Elle rejette donc violemment Johnny, qui pourtant voudrait, lui, renouer les liens.

Mais bien d’autres personnages viennent compléter la galerie : le juge Wood, un shérif couard, Manuela, l’ex fiancée de Johnny asservie sexuellement par Sartana, Jerry, le frère de Manuela, devenu muet lors du viol de celle-ci, sa fiancée Mary, et enfin Joselita Rodgers (jouée par Erika Blanc), la sœur de l’homme dont le meurtre a été attribué à Johnny.

Le développement de certains protagonistes souffre donc de leur multitude. Manuela est ainsi longtemps reléguée à l’arrière-plan et ne réapparait que comme deux ex machina. On en profite pour relever que Johnny semble se soucier comme d’une guigne de son ancienne fiancée. Autre exemple, la mère de famille, elle aussi longuement délaissée, retrouve un rôle dans le dénouement. Dommage, des bases intéressantes ayant été posées, les Colts de la violence auraient pu considérablement s’enrichir d’un scénario centré sur ces figures féminines.

L’idée du conflit familial est évidemment la meilleure. Ce qui explique d’ailleurs le carton final, reprenant un verset du Lévitique XIX : « Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur, mais tu ne manqueras pas de reprendre ton prochain pour ne pas te charger d’un péché à son égard. » Le western italien aime à référer à un substrat mythologique ou, en l’occurrence, chrétien. A la différence de son grand frère américain, le western italien parle de culture latine.

Un des grands problèmes du scénario est la rapidité confondante avec laquelle certains personnages changent d’attitude : Joselita est bien facilement convaincue de l’innocence de Johnny, et Jerry humilié tout le long du film se transforme en un clin d’œil en bagarreur viril. De même, Sartana veut enfermer Johnny dans un souterrain puis change brusquement d’avis et décide de le faire tuer. L’ensemble fait un peu désordre et laisse une impression de relâchement.
… ce qui est aggravé par la direction incertaine : certains acteurs souffrent d’un jeu trop limité ou caricatural. Nous resterons dubitatifs face à certaines prestations.

Au rang des bizarreries, on note quelques idées farfelues, telles le repaire de Sartana qui n’est autre qu’un ancien temple aztec. On se demande encore où trouver une telle ruine aux Etats-Unis ! Une idée d’ailleurs sans intérêt scénaristique, si ce n’est de poser une ambiance fantastique confirmée tout au long du film. En 1966, le gothique italien bat encore son plein. Est-ce la raison pour laquelle on retrouvera également une grotte (en parfait carton-pâte) ?

C’est clairement la dernière partie du métrage qui emporte l’adhésion, offrant des développements plus intéressants que ceux d’autres westerns de l’époque. Le héros n’y est d’ailleurs pas le personnage le plus important. A ce moment, Cardone nous surprend et positivement cette fois.

Notre jugement parait sévère à la lecture de ce qui précède… Et pourtant, au final, le charme opère quand même. Toutes les critiques que nous avons émises sont de peu d’importance pour un spectateur indulgent et pour ceux qui tirent justement plaisir de ce genre d’imperfections.

LES COLTS DE LA VIOLENCE, en dépit de ses nombreux défauts, reste un western intéressant. Ses idées ne sont pas toutes convenablement développées, mais elles ont au moins le mérite d’exister, ce qui ne sera pas le cas dans d’autres produit made in Italy qui préfèreront un conformisme jugé plus vendeur.
Pour peu qu’on n’en attende pas un chef d’œuvre et qu’on en excuse les maladresses et les limites, Les colts de la violence offriront un bon divertissement.

Tourné en 1966, LES COLTS DE LA VIOLENCE sortiront en salle en France le 1er juillet 1970. Le film sera également adapté en roman photo.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link