Un texte signé Jérôme Pottier

Japon - 1974 - Kenji Misumi
Titres alternatifs : Five Wolves
Interprètes : Hideki Takahashi, Ken Ogata, Masaomi Kondo, Teruhiko Saigo, Heiko Matsuzaka, Kiwako Taichi, Asao Sano

retrospective

Les Derniers Samouraïs

C’est en 1975 que nous quitte l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du septième art, un des maîtres incontesté du film de sabre, Kenji Misumi. L’auteur des premiers BABY CART (dont trois tournés en 1972), de HANZO THE RAZOR SWORD OF JUSTICE (1972) et de nombreux ZATOÏCHI durant les années 60 et 70 tire sa révérence et avec lui disparaît quasiment le genre qui l’a révélé : le chambara. Genre auquel il confère ses lettres de noblesse dès 1962 avec le magnifique KIRU (TUER) pour ensuite lui faire atteindre des sommets en matière de cinéma d’exploitation déjanté avec l’adaptation du manga signé Kazuo Koike (le créateur de LADY SNOWBLOOD et CRYING FREEMAN) LONE WOLF AND CUB. Étonnamment, il renoue en 1974 avec le classicisme de ses débuts pour LES DERNIERS SAMOURAÏS, le premier de ses longs métrages dont il est également scénariste.
Un script qui nous conte les mésaventures de Sugi, un samouraï déshérité par sa famille qui a trouvé un père de substitution en la personne d’Ikemoto, son mentor. Ce dernier s’avère être, en plus d’un formidable bretteur, un espion shogunal qui tente de le maintenir à l’écart des manœuvres politiques amorçant la transition de la société féodale vers l’ère moderne.
Ce chant du cygne au titre hexagonal tristement révélateur est un chef d’œuvre absolu. On frise la perfection aussi bien dans le fonds que dans la forme. L’histoire de ce FIVE WOLVES (titre original) nous présente une société japonaise en pleine déliquescence. Que ce soit à travers ses personnages de samouraïs désabusés, mais toujours empreint d’une grande humanité, ou par la démonstration de la perte insidieuse de ses racines culturelles confirmée par l’apparition de nombreux objets d’origine occidentale. Néanmoins, Kenji Misumi soigne ses admirateurs en les gratifiant de quelques scènes de massacre hallucinante (voir, à ce sujet, l’ouverture du film) réalisées dans son style si particulier, à mi-chemin entre classicisme et modernisme. Son sens du cadrage et du découpage, très proche d’un Sergio Leone, fait ici merveille, il utilise même à la perfection l’un des procédé de grammaire cinématographique les plus casse-gueule qui soit : le flash-back. Le metteur en scène nippon est grandement aidé par une équipe technique talentueuse qui compte dans ses rangs Masao Kosugi à la photographie et Akira Ifukube à la musique (un spécialiste des GODZILLA), la distribution est au diapason.
Hideki Takahashi est Sugi, les cinéphiles le connaissent pour avoir été en tête de distribution dans deux chef-d’œuvres réalisés en 1966 par Seijun Suzuki, LA VIE D’UN TATOUÉ et ELEGIE DE LA BAGARRE. Ken Ogata, qui n’est alors qu’une star montante, connaîtra la consécration auprès de Yoshitaro Nomura (LE VASE DE SABLE-1974), Hideo Gosha (PORTRAIT D’UN CRIMINEL-1985), Shohei Imamura (LA BALLADE DE NARAYAMA), Shintarô Katsu (ZATOÏCHI 26-1989) et beaucoup d’autres, y compris le britannique Peter Greenaway (THE PILLOW BOOK-1996). Masaomi Kondo est beaucoup moins prolifique (une vingtaine de films en 42 ans de carrière), il est récemment apparu dans le YOKAI WAR de Takashi Miike (2005). Teruhiko Saigo est, lui aussi, un interprète plutôt rare, il tient néanmoins la vedette, aux côtés de Sonny Chiba, du très réputé SHOGUN’S SAMURAI de Kinji Fukasaku (1978).
Ces acteurs ont donc le privilège d’incarner les seuls personnages nés sous la plume de Kenji Misumi, LES DERNIERS SAMOURAIS. Sugi, préservé du cynisme de la politique par son maître, personnifie à la fois la mort du samouraï et la naissance de l’homme moderne, il est l’alter ego de Kenji Misumi. Le cinéaste délivre ici un testament humaniste qui enterre avec beauté tout un pan de l’histoire du cinéma japonais.


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- Article rédigé par : Jérôme Pottier

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