Un texte signé Philippe Delvaux

Suisse - 1972 - Erwin C. Dietrich
Titres alternatifs : Blutjunge masseusen, Pinup Playmates
Interprètes : Rena Bergen, Elke Boltenhagen, Raphael Britten, Chitta Coray, Britt Corvin, Max Crottet, Nadine De Rangot, Claudia Fielers

retrospective

Les jeunes masseuses

Caïus Julius Metterman est un agent de voyage un peu particulier : il vend des « circuits sexuels », proposant à ses clients des destinations exotiques où ceux-ci pimenteront leur séjour de quelques ébats.

Erwin C. Dietrich est un incontournable de l’érotisme européen des ’70. Il inonde alors le marché de productions de faible budget à la qualité cinématographique discutable. On lui doit entre autres la production d’une série de WIP fauchés tournés par Jess Franco. Mais le bonhomme s’est également piqué de réalisation. Ainsi de ces JEUNES MASSEUSES dont à la vision on comprend rapidement pourquoi elles n’ont pas marqué l’histoire du 7e art, même dans la catégorie underground des films érotiques. Ce dernier genre est hélas trop rarement abordé par de véritables cinéastes et bien trop souvent abandonné à des marchands seulement enclins à faire fructifier les rares billets qu’ils auront investis.

LES JEUNES MASSEUSES fleurètent avec un sous-genre qui a depuis pratiquement disparu, celui des films « mondo ». Ceux-ci développent un versant gore et repoussant, devenu célèbre depuis le film fondateur MONDO CANE. Mais il est également un autre avatar, préexistant, celui des films alternant des séquences « touristiques » à quelques déshabillages et nudités. Les années ’50 ont connu le film de strip-tease et LES JEUNES MASSEUSES sont une énième incarnation de ce type productions. L’enchaînement est assez immuable : on nous montre quelques lieux censément exotiques suivis d’une séquence érotique – simple glissement d’une lettre, du « x » au « r » en quelque sorte. Chaque séquence est vaguement reliée à la précédente, souvent par le biais d’une voix off.

L’argument des JEUNES MASSEUSES est des plus basiques : une agence de voyage spécialisée dans les circuits « chauds ». Passé l’exposition par le narrateur, le film se contente d’enquiller des vues de Nice, Bangkok, Stockholm, Rome, Copenhague, Paris, Grenade… S’agit-il de prises de vues spécifiques au film, de stock-shot ou d’images filmées pour plusieurs métrages à la fois, on ne sait… et on s’en moque puisque ces séquences sont purement de remplissage. Sans doute ont-elles eu un peu d’intérêt à l’époque pour le public à qui le film était destiné, public qu’on imagine financièrement peu aisé, donc peu amenés à voyager, et pour qui cet exotisme par procuration pouvait fonctionner. Peu étonnant donc de devoir se farcir les pires clichés traditionnellement accolés à tel ou tel pays : accordéon et tour Eifel à Paris, espagnolades à Grenade (torero inclus), etc. Pour cette dernière séquence, les doubleurs français en rajoutent une louche en faisant zozoter les protagonistes dans une pitoyable tentative de « jouer » les accents.

Les séquences « érotiques » appellent les guillemets car l’émoustillement attendu est annihilé par la tonalité « comique » générale (à nouveau, les guillemets s’imposent, la farce teutonne se révélant souvent indigeste). Il est assez signifiant de relever que l’époque mélangeait régulièrement érotisme (ou du moins nudité) et comédie : sexy comédies italiennes, farces érotiques nordiques (Allemande, Suédoise), etc. Une manière de désamorcer ce qui était alors encore souvent jugé comme scandaleux, une manière également d’évacuer pour le spectateur la gêne de la pudeur en la recouvrant du masque du rire.

Les séquences érotiques confrontent systématiquement de jeunes « masseuses », libérées et ne désirant rien d’autres que d’offrir leur corps aux clients, aux pseudo touristes, lesquels sont le plus souvent des hommes dans la force de l’âge. Ces derniers sont toujours présentés sous un jour ridicule : un niais accompagné d’une mère castratrice, un nabot chauve en caleçon et chaussette, gêné de se déshabiller, un acteur de western dénigré par une voix off qui fustige son double menton, ses kilos superflus et ses talons rehaussés… Si les filles s’effeuillent en nombre, on discutera plus de la qualité de la prestation. D’une part, les canons de beauté évoluent au fil du temps et ceux de cette production allemande des ’70 ne correspondent sans doute pas à ce qu’attend la majorité du public du XXIe siècle. D’autre part, Dietrich se montre très prude(nt), dévoilant fesses et seins mais ne s’aventurant pas sur le terrain du hardcore.

Quelques décennies d’érotisme et de pornographie plus tard, il ne reste pas grand-chose de ces produits d’époque : l’exotisme n’a plus lieu d’être et la comédie encombre l’érotisme. Le manque de moyens, de talent et d’implication ressort alors cruellement.

Revu de nos jours, LES JEUNES MASSEUSES présente donc plus d’intérêt pour l’historien, par son témoignage d’une époque révolue, que pour l’érotomane ou le cinéphile.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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