Un texte signé Éric Peretti

- 2011

Lausanne Underground Festival 2011

LUFF 2011

Comme chaque année depuis dix ans, la très respectable cinémathèque suisse est devenue le centre névralgique d’un enchevêtrement artistique éphémère, dont les excroissances physiques ont investi différents lieux et supports afin d’agiter culturellement la ville. Le Lausanne Underground Film & Music Festival s’est à nouveau déployé du 18 au 23 octobre, pour proposer à ses participants une immersion totale dans un courant souvent trouble et méconnu, au risque de provoquer autant de coups de cœur que de gueule. Voici un bref compte-rendu du festival qui, à la manière de son acronyme, fait disparaître la référence musicale, laissant les sites spécialisés vanter les mérites d’une stridente sélection, pour déterrer ce qu’il se cache sous le U.
Underground, le LUFF l’est sans aucun doute, dans sa programmation mais aussi dans sa conception. Il faut savoir qu’une quinzaine de bénévoles, passionnés et dévoués à la cause, travaille discrètement toute l’année à l’organisation de la manifestation. Une ovation amplement méritée de la part du public a salué le labeur de ces travailleurs de l’ombre qui, l’espace de quelques instants, sont passés des ténèbres à la lumière lors de la cérémonie d’ouverture. Faisons alors de même en saluant dès maintenant cette équipe, et par ricochets tous ceux qui sont venus leur prêter main forte juste pour la durée du festival, qui par sa gentillesse et sa disponibilité donne à cet événement un côté incroyablement humain qui facilite les rencontres et les échanges.
Brillante idée de confier les rênes de la soirée d’ouverture à Peaches Christ qui nous a gratifié d’un drag show entraînant, juste avant la projection de son long métrage, le très recommandable ALL ABOUT EVIL.
La sélection officielle ne déroge pas aux bonnes règles et nous a offert cinq films forts peu consensuels qui ont alimenté de nombreux débats quant à leurs qualités et intérêts. L’éternel combat opposant le fond et la forme a souvent vu la victoire de cette dernière. Ce fut exactement le cas pour BEYOND THE BLACK RAINBOW, sûrement le film le plus frustrant du lot, tant il bénéficie d’une forme esthétisante au possible pour ne jamais rien en faire, si ce n’est provoquer un ennui profond. THE BUNNY GAME, qui vient d’être interdit de distribution en Angleterre, prend le spectateur en otage pour lui asséner des images très violentes et dérangeantes, mais hélas sans jamais n’y apporter une once de signification et de réflexion. La grande déception est arrivée avec PROFANE dont la réflexion promise sur la soumission et l’identité disparaît derrière une provocation gratuite et hideusement mise en scène. HELLACIOUS ACRES s’impose comme une réussite, à condition d’accepter son humour absurde et ses longueurs volontaires. Alors que ces quatre films ont fortement divisé les membres du jury, THE OREGONIAN arrive à point nommé pour les réconcilier et empocher le Grand Prix du festival. Terrifiant, surprenant et parfaitement construit, le long métrage de Calvin Reeder refuse une certaine facilité nombriliste et s’impose déjà comme un futur classique d’un autre cinéma, celui que le LUFF défend depuis dix ans.
Parallèlement, de nombreux courts métrages ont également concouru pour un prix… qui se révélera double puisque les jurés choisiront de récompenser deux œuvres, MISS CANDACE HILLIGOSS FLICKERING HALO et SLICK HORSING, que nous n’avons malheureusement pas pu visionner, faute de temps. Il y avait énormément de choses à voir une fois encore à Lausanne, et les traditionnelles Cartes Blanches des invités en font partie. Et cette année, Peaches Christ nous a mis une claque monumentale avec le très injustement méconnu et mal-aimé MOMMIE DEAREST qui place Faye Dunaway dans la peau de Joan Crawford le temps d’un biopic bien éloigné des mièvreries hollywoodiennes habituelles. Second possesseur d’un permis de diffuser, l’écrivain britannique Stephen Thrower a, entre autres, dépoussiéré une FILLE AU SEXE BRILLANT et ressuscité DEATH BED. Invitée dans le cadre de la rétrospective d’une carrière oscillant entre érotisation du sadomasochisme confinant au sublime et pornographie lesbienne, Maria Beatty était également venue présenter en première mondiale son nouveau court, LILITH (MOTHER OF EVIL).
La section Gore Factor proposa quelques bandes biens déviantes et férocement indépendantes qui, en s’affranchissant de toute notion de bon goût, ont cherché à aller toujours plus loin dans le trash. Ainsi, le sympathiquement mauvais THE TAINT et ses explosions péniennes cohabitait parfaitement avec le charnel HORNY HOUSE OF HORROR et son vagin affamé. Quant à l’épileptique CALIBRE 9, il a du provoquer bien des migraines avec son histoire de pistolet possédé par l’esprit d’une prostituée revancharde qui se retrouve entre les mains d’un urbaniste intègre.
Mais ce n’est pas tout, et si les titres déjà cités ne vous disent rien, ils sont pourtant la partie la plus connue de l’iceberg LUFF. Sous la surface de la notoriété se cache une sélection encore plus pointue et courageuse. À savoir un florilège du travail expérimental de Stephen Dwoskin dont on peut retenir l’insupportable et interminable JESUS BLOOD mais aussi l’excellent TRIXI, et quelques films tissant des liens avec la scène musicale, à l’image de l’intéressant documentaire THE BALLAD OF GENESIS & LADY JAYE qui permet d’apprendre ce qu’est la pandrogynie. Un échange de bons procédés avec des artistes underground tokyoïdes nous a offert l’occasion de visionner quelques courts inventifs, dont le très hypnotique et déstabilisant SPACY de Takashi Ito. Rajoutons à cela un hommage, en sa présence, à la cinéaste Ericka Beckman, et la venue du fondateur de la mythique revue Re/Search, V. Vale accompagné de la réalisatrice Marian Wallace. Enfin, un atelier de détournement d’images dans un but créatif sous la supervision de Craig Baldwin a apporté une touche interactive à la manifestation, transformant ses participants en artistes éphémères.
THE THEATRE BIZARRE, après avoir fait le bonheur de nombreux festivals, vient clôturer celui de Lausanne pour son avant-première helvétique.
Une fois encore très riche et pointu dans sa programmation, le LUFF aura rempli son rôle en proposant à un public composé autant de néophytes que de passionnés l’occasion de découvrir des œuvres difficiles et controversées. En donnant à ces films la possibilité d’être vus par le plus grand nombre, le festival les fait tout simplement exister… le LUFF c’est la vie.

Merci à Luc pour ses photos.

Retrouvez ici des chroniques et des interviews concernant le festival


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- Article rédigé par : Éric Peretti

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