Un texte signé Sophie Schweitzer

review

Midnight Special

Alors qu’on apprend par la télévision qu’un homme a enlevé un petit garçon, nous comprenons que l’un des deux hommes dans la chambre de motel où nous sommes est le kidnappeur. Aussitôt, nous sommes plongés dans le feu de l’action. Les deux hommes embarquent un petit garçon portant des lunettes de plongée ainsi qu’un casque coupant le son dans une vieille Chevrolet avant de foncer tous feux éteints dans la nuit noire. Nous comprenons en cours de route que l’un des deux hommes est le père de l’enfant, et que ce dernier est très spécial. Il semble détenir certains pouvoirs qui poussent le FBI à le rechercher et une secte à voir en lui le sauveur. Au milieu de tout ça, le père, l’enfant et l’ancien flic partent en cavale dans les Etats-Unis, fuyant les uns, cherchant la salvation en un point précis, à une date précise.

Quatrième long de Jeff Nichols, MIDNIGHT SPECIAL s’inscrit dans la lignée de SIGNES de Night Shyamalan en offrant une œuvre cyrptique. Aucune information ne sera livrée gratuitement au spectateur. Ce dernier est comme les héros, il tâtonne sans savoir où chercher et surtout sans savoir quelle est la vérité. Jeff Nichols nous plonge dès les premières images dans le noir. Nous ne savons qui les pourchasse, ce qu’ils cherchent, ce n’est qu’en cours de route, au compte-gouttes que les informations nous seront données. Mais quelque chose lie tout le film, du début à la fin, c’est la croyance. Tous sont animés d’une croyance, et le seul qui sait au fond, c’est le gamin.

Il incarne à la fois la foi, l’innocence, la famille, l’espoir, la lumière comme l’inquiétude, la paranoïa, le danger selon qui le regarde. Pour le FBI, pour l’armée, il est un danger, un extraterrestre menaçant l’humanité, pire, le gouvernement fédéral, comme le martèle le personnage campé par Adam Driver, un agent de la NSA qui, au fur et à mesure s’avère être plus proche d’un Mulder, quelqu’un voulant croire, plus fasciné qu’inquiet, mais servant le système auquel il ne peut échapper. En face, il y a cette secte fascinée par l’enfant qui le sert comme si c’était un Dieu. Et au milieu de tout ça, il y a ce père qui tente malgré tout de recomposer sa famille.

Michael Shannon est incroyable dans le rôle d’un père qui tente de faire au mieux avec son enfant dont les capacités le dépassent. Et Kirsten Dunst qui incarne la mère de l’enfant est tout aussi juste. C’est elle qui comprend qu’il faudra laisser partir leur enfant, elle saisit l’ampleur du sacrifice à venir, et s’y abandonne avec une attitude presque mystique. L’enfant, Alton, incarné par Jaeden Lieberher mène la danse. C’est pour lui, autour de lui, de cette figure christique, que s’axent nos personnages et les désirs, et les frayeurs de chacun. Il cristallise en lui les sentiments les plus vifs, de l’inquiétude à l’amour, comme celui que lui porte ce flic qui n’a aucun lien pourtant avec cet enfant si ce n’est qu’il jouait avec son père quand il était gamin.

Tout n’est que croyance, tout n’est que foi, il faut faire un acte de foi, et espérer voir, c’est ce que nous dit Jeff Nichols. Et cet acte de foi, qui est demandé au spectateur tout autant qu’aux héros, leur apporte alors cette vision magnifique finale, ce sentiment de merveilleux et de beauté, d’amour et de chaleur, comme une récompense, et qui tranche par sa luminosité avec l’obscurité du début. MIDNIGHT SPECIAL est une œuvre sur la foi demandant la foi à ses spectateurs.

Le film parle aussi de la famille, de la difficulté d’être un père, et de l’inquiétude intrinsèque à ce rôle. Jeff Nichols a voulu évoquer le sentiment qu’il a eu quand son premier enfant est venu au monde, de ses doutes quand à sa capacité de le protéger mais aussi de le guider au mieux vers le monde adulte, de l’y abandonner quand le moment sera venu. Et il est vrai que MIDNIGHT SPECIAL parle essentiellement de cela, du rôle des parents. Dans MUD, c’est tout l’inverse, les enfants sont livrés à eux mêmes et sont les seuls à pouvoir aider les parents devenus aveugle. Mais au fond, c’est de la même obscurité dont parle Nichols, celle dont seul l’amour peut vous délivrer, et vous apporter la lumière.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà

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