Un texte signé Philippe Delvaux

USA - 1962 - William Castle
Interprètes : Oskar Homolka, Ronald Lewis, Audrey Dalton, Guy Rolfe

Offscreen édition 2009retrospective

Mr Sardonicus

Dans un 19e siècle finissant, le jeune et célèbre docteur Robert Cargrave est appelé au secours par Maude, son amour de jeunesse qu’il n’a pu épouser, celle-ci étant promise au baron Sardonicus. Il répond à l’appel en se rendant promptement dans les lointaines contrées slaves où résident le baron et sa jeune épouse. Les natifs semblent craindre Sardonicus plus que tout et Cargrave se rend compte rapidement du climat de terreur que fait régner ce dernier. Sardonicus, caché derrière un masque, qui dissimule un visage défiguré par une malédiction, espère sa guérison du docteur prodige, quitte à forcer celui-ci en menaçant Maude dont il sait Cargrave amoureux.

MR SARDONICUS est une réalisation de William Castle de 1962 qui convoque l’arsenal alors à la mode de l’horreur gothique : 19e siècle, héros anglais, château slave, serviteur borgne et torve, triangle entre le docteur, le monstre et Maude. Pas de doute, l’ombre de Bram Stocker fait plus que planer sur le scénario même si la figure vampirique est ici remplacée par celle, relativement connexe, de la goule.

Les habitués des productions de la Hammer, du gothique italien ou des adaptations de Poe par Roger Corman se retrouveront donc en terrain connu. Dès lors, il reste peu à dire du film lui-même. Une honnête série B, sans réel génie mais cependant correctement menée.

William Castle ne faillit pas à sa réputation de roi du gimmick avec ce MR SARDONICUS dont l’élément essentiel ne tient pas au film mais à l’interaction qu’il induit avec son public. En effet, ce dernier est invité, à l’issue de l’avant dernière bobine à décider du sort du méchant par le biais du « Punishement poll », un vote calqué sur le mode des jeux du cirque de la Rome antique où le public décidait en levant ou baissant son pouce du destin du gladiateur vaincu. Le film s’interrompt donc avant le lancement de la dernière bobine et un animateur vient s’enquérir du vote des spectateurs.

Le film est précédé d’un court module dans lequel William Castle introduit son film et le mode opératoire du vote. L’irruption du cinéaste dans son propre film n’est pas sans évoquer Alfred Hitchcock alors encore en pleine gloire.

Par ailleurs, on peut penser que l’interruption du film pour le vote s’inscrit bien dans l’air du temps, lorsque l’exploitation en salle passait par un entracte pour vendre des friandises et boissons, pratique qui sans avoir totalement disparue est néanmoins en très forte régression dans la pratique actuelle.

La télé réalité actuelle n’a rien inventé, jusque et y compris dans ses trucages et manipulations puisque manipulation du spectateur il y a.

(…)

ATTENTION, DANS LES LIGNES QUI SUIVENT NOUS DEVOILONS LE « TRUC ». A NE PAS LIRE SI VOUS VOULEZ CONSERVER LA SURPRISE DE MR SARDONICUS

(…)

Le truc du vote est un mirage puisqu’en réalité – ou du moins dans la version projetée à offscreen -, il n’y a qu’une seule fin, celle de la mort de Mr Sardonicus. Le vote est donc truqué : quel que soit le nombre de « thumbs up », l’animateur répondra invariablement que le décompte donne la mise à mort gagnante. L’interaction ne relève donc pas du choix réel du spectateur mais de l’impression qui lui est donnée qu’il dispose d’un choix. Le 7e art est bel et bien l’art de l’illusion !

En ces temps où la mode est aux montages ou conclusions alternatifs, il faudra donc encore longtemps avant de voir abandonner les recherches des collectionneurs avides de retrouver l’épilogue épargnant Sardonicus.

Mais après tout, ne sommes-nous pas dès l’abord prévenu par le titre même du film : « Monsieur Sardonique », dont le sourire en coin réfère d’ailleurs tout autant à ce vieux margoulin de William Castle, et à son introduction hitchckockienne qui nous met sur la voie du bon tour qu’il entend nous jouer ? Après tout, on ne nous demande pas de juger Sardonique mais de voter sa punition (l’explicite « punishement poll »). Bien vu William.

D’autres sources indiquent cependant qu’une fin heureuse aurait quand même été tournée, à la demande de la production et une fois le premier montage (avec punition du monstre) terminé et que c’est cette demande qui aurait donné l’idée à Castle de donner le choix aux spectateurs. Le happy end existerait alors bel et bien mais n’aurait pratiquement pas été montré.

En mars 2009, le film a été présenté à Bruxelles à la deuxième édition du Festival Offscreen, dans le cadre d’un module consacré au cinéma interactif. Le punishement poll y a bel et bien livré son verdict, condamnant une fois de plus Sardonicus… même si un vrai décompte des voix lui aurait peut-être épargné la vie. Le sadisme réside donc tout autant dans la manipulation des votes ou du moins de la communication du résultat. Le cinéma est affaire de point de vue, ce qui implique la maîtrise de la communication… Et William Castle de rester dans ce domaine roi en son château !


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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