Un texte signé Philippe Delvaux

Belgique-France - 2017 - Yves Hinant, Jean Libon
Titres alternatifs : So help me god
Interprètes : Anne Gruwez, David Derumier, Serge Graide, Marc Slavic, Eddy Wilmet

L'Etrange Festival 2017review

Ni juge, ni soumise

La juge Anne Gruwez tente d’élucider un crime non résolu depuis plus de deux décennies, à savoir l’assassinat de deux prostituées dans le centre de Bruxelles. Est-ce que la technologie contemporaine permettra de trouver un dénouement à cette affaire ?

HHH : hallucinant, hilarant, humain.

Les trois adjectifs qui nous viennent à l’esprit pour évoquer ce documentaire, forme allongée d’un épisode de STRIP TEASE.
Hallucinant de constater la liberté qu’on obtenu les documentaristes pour suivre pendant trois ans le quotidien d’une juge d’instruction bruxelloise ; hallucinant de découvrir ce personnage absolument hors norme par son parler, ses attitudes ; hallucinant de découvrir ce monde d’ordinaire fermé au quidam moyen (si vous le découvrez, soit vous travailler à la justice, soit vous êtes convoqué – on ne vous le souhaite pas) ; hallucinant de prendre conscience que les documentariste ont pu déjouer la tendance du monde juridique/judiciaire à se fermer et à travailler en secret. Visiblement, le secret de l’instruction n’est pas un problème dès lors que juges et inculpés ont tous donné autorisation pour le tournage.

Avec une bonhommie matinée d’un soupçon d’attitude rock’n roll, voire politisée, les réalisateurs présents à l’Etrange festival 2017 s’étonnent presque qu’on leur demande s’ils n’ont pas rencontré de problèmes juridiques pour pouvoir tourner. Ça décoiffe et ça fait du bien. L’âge de la retraite pourtant atteint, les réalisateurs n’ont rien perdu de leur mordant, de leur sens du combat, de leur foi en un format documentaire très spécifique (pas de musique, pas de voix off), parfois décrié et pourtant totalement pertinent.

NI JUGE, NI SOUMISE, c’est du Grand Cinéma. Construit à partir du réel, certes, mais du Grand Cinéma. Ecrit au montage, dans l’agencement des séquences, dans la captation de tellement de moments « over the top ».

Yves Hinant et Jean Libon ont l’art de dénicher les bonnes histoires et les personnages qui dégagent quelque chose. Ici, ils touchent le jackpot avec cette juge d’instruction à la langue bien pendue, aux attitudes irrévérencieuses, qui n’aurait pas déparé dans certains films français des sixties.

Ou pas, car la réalité est tellement énorme qu’on aurait eu du mal à croire à un sujet similaire s’il n’avait été que fiction.

Hilarant ensuite, avec les séquences d’anthologies qui se succèdent : les interrogatoires de la famille consanguine, les dénégations pathétiques de petits loosers, la prostituée vieillissante reconvertie dans le SM qui explique le détails de son métier, les commentaires lors de l’exhumation d’un cadavre pour prélèvement d’ADN (oui, on voit l’exhumation et le prélèvement, non, ce n’est pas un truquage), les pérégrinations bruxelloises dans la 2CV de la juge, qui commente les immeubles où elle a ses « clients » (les inculpés donc). Et avec un vrai sens cinématographique, la caméra (il n’y en a qu’une comme l’a confirmé le réalisateur, certains ont pourtant cru en voir plusieurs… le talent) réussit à capter ce qui fait la scène, comme ces décrochages sur les avocats silencieux, gênés des propos de leurs clients dont ils devront ensuite défendre la cause (ou gênés par la caméra).

Humain enfin, car le film ramène un pan parfaitement méconnu de la justice (l’instruction) à sa dimension humaine, qui fait se rencontrer des serviteurs de la justice qui sont des êtres spécifiques avec les cabossés et les malfrats de tous bords. Humain par ce suivi d’une figure unique. Nous sommes tous uniques, mais certains font de meilleurs sujets de cinéma. Et ici, c’est noël !

Présenté à l’Etrange festival 2017, NI JUGE NI SOUMISE tourne dans de nombreux autres festivals à l’automne 2017 (quelques jours après l’Etrange, le film était primé à San Sebastian) avant de connaitre une sortie salle puis dvd. Vers 2019, il devrait logiquement être programmé à la télévision, berceau de naissance de STRIP TEASE, mais qui s’en est détournée depuis (rappelons que la télévision belge qui a fait naitre STRIP TEASE a fortement réduit ce format en 2002 déjà – qui survit cependant encore via « Tout ça ne nous rendra pas le Congo » – et que France 3 l’a réduit au silence ces dernières années : honte à la télévision publique !).

Pour nous, il fut l’un des meilleurs films de l’Etrange festival (et c’est dire s’il y a concurrence en la matière). Alors, festival, salle ou TV, ne ratez pas NI JUGE, NI SOUMISE, vous nous en direz des nouvelles.


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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