Un texte signé Philippe Delvaux

Espagne - 2011 - Enrique Urbizu
Titres alternatifs : No Habra Paz Para Los Malvados
Interprètes : Jose Coronado, Helena Miquel, Rodolfo Sanchez, Juanjo Artero, Karim El-Kerem, Nadia Casado

Dossierreview

No rest for the wicked

Ivre mort, l’inspecteur de police Santos Trinida abat en pleine nuit trois personnes exploitant un bar louche et prend la fuite avec les bandes des caméras de surveillance. Sur celles-ci, il découvre que quelques instants auparavant, un petit malfrat s’est fait remettre par le tenancier une grosse somme d’argent… et a été témoin de la fusillade. Santos a franchi la ligne. Il doit donc maintenant retrouver le malfrat. Il débute en solo une enquête pour son propre compte mais comprend vite que les ramifications de celles-ci le mènent vers une affaire importante qui met en péril la sécurité nationale. Il ne peut cependant en avertir ses collègues qui ne manqueraient pas de faire le rapprochement avec la tuerie initiale. Pendant ce temps, la juge Chacon et le commissaire Leiva tentent pour leur part de remonter la piste du triple meurtre.

No rest for the wicked est un pur film de genre qui convoque nombre de clichés du polar : l’ancien superflic tombé dans une affaire louche, confiné aux personnes disparues, sombrant dans l’alcool, commettant une nouvelle bavure, tentant néanmoins de se racheter en bouclant une grosse affaire, naviguant entre indicateurs et ex petite amie strip-teaseuse… Mais le scénario est rondement mené, l’intrigue nous balade de protagoniste en protagoniste, Santos remontant petit à petit sa piste tandis que, parallèlement, l’étau se referme sur lui.

Le scénario reflète les peurs contemporaines, à savoir la menace islamiste, laquelle a frappé l’Espagne par le très meurtrier attentat du 11 mars 2004 qui avait fait pas moins de 270 victimes et 1400 blessés. En creusant plus loin, on rappellera que l’attentat avait initialement été porté au crédit des séparatistes basques… Enrique Urbizu est d’origine basque.

Le film est donc cathartique, montrant un « quasi-vigilante » soucieux de prévenir la reconduction de tels événements. On y retrouve même un sous-texte christique : le patronyme du héros, « Santos Trinida », sa blessure qui évoque le coup de grâce porté à Jesus par Longinus et enfin sa pose bras en croix, au final. Pour autant, « christique » n’est pas « chrétien » et on ne doit pas y voir une croisade contre la chienlit islamiste car ici, le messie est ironiquement un pourri qui veut moins racheter les pêchés de l’humanité que masquer les siens.

La photographie est soignée, les flics et truands offrent une jolie brochette de gueules comme on aimerait en voir plus souvent et l’interprétation de l’acteur José Coronado a été assez justement consacrée aux derniers Goyas.

On émettra un tout petit bémol pour une balise initiale du scénario : d’abord motivé par sa sécurité, Santos va interférer dans la préparation d’un attentat islamiste. Par contre, à aucun moment on ne revient sur le fait qu’il a tué une innocente : si deux des victimes de Santos nous sont présentées comme de beaux salopards dont l’éviction ne provoquera aucun regret, ce n’est pas le cas de la troisième qui n’avait rien à se reprocher et a été abattue par Santos simplement parce qu’elle avait été témoin de sa fusillade. On sait que le cinéma de genre espagnol apprécie les outrances et le mauvais goût, et on ne lui tiendra pas rigueur de présenter un personnage assez amoral, mais on s’interroge sur la pertinence de poser cette situation si c’est pour ensuite l’abandonner avec tellement de désinvolture. Santos cherche juste à se protéger d’une (nouvelle ?) bavure. In fine, la lecture de l’ensemble fait rejaillir une optique pessimiste : le salut ne vient pas des forces de l’ordre, l’attentat n’est déjoué que par un concours de circonstance ayant impliqué un ripou lequel ne cherchait initialement pas du tout à protéger la société et peut constituer lui-même un danger pour qui croise sa route. Roublard, le final offre une porte de sortie à son antihéros, dédouanant le réalisateur de la nécessité de porter un jugement moral sur ses actes. Un peu facile, mais inscrit dans la tradition du polar.

Les « wicked » qui ne trouveront aucun repos sont donc autant les terroristes traqués par notre flic que Santos lui-même qui voit ses collègues se rapprocher petit à petit.

No rest for the wicked a été présenté au 10e Brussels Film Festival. Auparavant, il aura raflé quelques Goyas. Sans céder entièrement à l’enthousiasme espagnol, on recommandera cependant chaudement sa vision aux amateurs de polars convenablement charpentés et divertissants.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link