Un texte signé Philippe Delvaux

BIFFF 2016Gérardmer 2017review

Pride + Prejudice + zombies

“Angleterre, au 19e siècle. La Peste Noire a non seulement laminé la démographie des Rosbifs, mais elle a en plus transformé tout le prolétariat anglais en troupeau de morts-vivants affamés. De grands murs cernent depuis lors la capitale anglaise, et c’est derrière cette enceinte que vit l’aristocrate Bennet avec ses cinq filles, qu’il aimerait ardemment caser avec de beaux partis. Quand il apprend l’arrivée de la famille Bingley et d’un certain colonel Darcy dans le voisinage, le patriarche enjoint ses filles à se mettre en mode séduction et aller roucouler au bal. Plus facile à dire qu’à faire, car ces cinq teignes ont loupé leurs cours de bienséance au profit d’un entraînement aux armes mortelles et aux arts martiaux, histoire de pouvoir chasser seules du zomblard dans le parc familial. Grandes gueules ravissantes et bourrées d’orgueil, Elizabeth, Jane, Kitty, Lydia et Mary vont quand même accepter d’aller danser le quadrille en dévoilant leurs bas-résille. Pourquoi ? Parce qu’elles viennent d’apprendre que les murs d’enceinte ont de très gros trous et que des invités surprise risquent de ramener leur haleine fétide à leur nouba d’aristocrates… » (résumé par le BIFFF).

Outre une kyrielle d’adaptations télévisées, « Orgueil et préjugés » a connu quelques adaptations pour le grand écran : en 1940, dans le ORGUEIL ET PRÉJUGÉS de Robert Z. Leonard avec Greer Garson et Laurence Olivier et plus récemment, en 2005 dans la version de Joe Wright, avec Keira Knightley, Matthew Macfadyen, Donald Sutherland, Judi Dench et Rosamund Pike. A l’instar de notre PRIDE + PREJUDICE + ZOMBIES, d’autres productions ont adapté en prenant quelques libertés : PRIDE & PREJUDICE: A LATTER DAY COMEDY (2003, Andrew Black) transposition le roman au XXe siècle dans une université américaine, tandis que l’année suivante COUP DE FOUDRE À BOLLYWOOD (BRIDE & PREJUDICE, Gurinder Chadha) situe l’action dans l’Inde contemporaine. Et pour être complet, on relève aussi les deux courts dont le sujet est proche du film dont nous parlons ici : PRIDE AND PREJUDICE AND ZOMBIES: DAWN OF THE DREADFULS (2010) et PRIDE & PREJUDICE & ZOMBIES (2013, ce qui expliquerait que le film qui nous occupe ait remplacé l’esperluette par le signe « plus » ?).

L’époque est aux mash up, remixages et mélanges en tous genres. Mais à dire vrai, cela n’a –t-il pas toujours été le cas dans le cinéma populaire : les spin off des films de super-héros n’en finissent plus de faire se croiser des personnages de séries différentes. Plus avant, on se souvient que le westerns transalpins a tenté de se régénérer à l’orée des années ’70 en se mélangeant à la comédie, au surnaturel et enfin au kung fu. On pourrait multiplier à l’envi les exemples. A l’instar de leurs protagonistes, dont la multiplication suit toujours une courbe exponentielle, le film de zombi connait depuis une quinzaine d’années un regain de popularité sans pareil. Mais le genre est bien balisé et de trop nombreux métrages se contentent de suivre le cahier des charges minimal et d’aligner les passages obligés, masquant leur pauvreté artistique derrière une débauche gore. Aussi faut-il relever les tentatives différentes, tel notre PRIDE + PREJUDICE + ZOMBIES.

Surtout quand ce film réadapte – enfin – une œuvre littéraire plutôt qu’un jeu vidéo (au hasard… RESIDENT EVIL). Ici, en l’occurrence, « Orgueil et Préjugés » de Jane Austen (ou presque, on va y revenir), chef d’œuvre de la littérature mondiale publié en 1813. Le mariage comme nécessité de sécurisation non seulement économique, mais sociale, est alors un impératif pour la femme anglaise. Par les yeux d’Elizabeth, Jane Austen nous fait partager les errances sentimentales des cinq filles Bennet, issues de la gentry précarisée.

PRIDE + PREJUDICE + ZOMBIES tente donc le grand écart entre adaptation romantique en costume et film de zombis saupoudré de Kung Fu. On trouvait déjà des traces de ce mélange entre l’aventure à l’occidentale en costume et l’influence hongkongaise dans LE PACTE DES LOUPS de Christophe Gans (qui par après versera aussi dans l’horreur avec SILENT HILL).

Le film de zombi connait épisodiquement depuis le 28 JOURS PLUS TARD de Dany Boyle quelques productions aux budgets plus élevés que le tout-venant qui doit, lui, se contenter de monter le spectacle en bricolant et en forçant sur le gore. 28 SEMAINES PLUS TARD, WORLD WAR Z, DAWN OF THE DEAD (le remake) ont ainsi bénéficié de réalisateurs talentueux, d’acteurs renommés et de techniciens doués. Il en est de même pour PRIDE + PREJUDICE + ZOMBIES qui aligne au casting rien moins que Sam Riley (BYZANTIUM, déjà au BIFFF, et le Ian Curtis de CONTROL), Bella Heathcote (DARK SHADOWS), Douglas Booth (JUPITER ASCENDING, NOAH), Jack Houston, Lena Headey (GAME OF THRONES), Matt Smith (DR WHO, depuis 2013), et Charles Dance (plein de bons films et GAME OF THRONES)
La réalisation a été confiée à Burr Steers (CHARLIE ST CLOUD et 17 AGAIN… mouais) qui ici ne démérite pas. Et l’adaptation est en réalité indirecte puisque non pas basée sur Jane Austen, mais sur le pastiche zombi de Seth Grahame-Smith, déjà auteur de cet autre mélange bizarre, lui aussi adapté au grand écran, ABRAHAM LINCOLN : VAMPIRE HUNTER. La production de PRIDE + PREJUDICE + ZOMBIES n’a pas lésiné sur les moyens : costume et décors font honneur à la magnificence requise par un film en costume où parade la noblesse de la haute société anglaise de ce 18e siècle finissant.

Une époque qui voit l’Angleterre ouvrir le bal de la révolution industrielle, laquelle fera émerger la nouvelle classe sociale du prolétariat. Il est à ce titre dommage que le scénario n’ait pas creusé cette allégorie d’avec les zombies, bien qu’on la retrouve déjà, il est vrai dans d’autres productions du genre et que ce type de thématique eut été particulièrement difficile à intégrer à celle au cœur du roman de Jane Austen, dont l’enjeu social, confiné aux seuls nantis, délaisse la lutte des classe pour celle des femmes.

Que penser de PRIDE + PREJUDICE + ZOMBIES ? Une première vision pousse à l’émerveillement : la comédie fonctionne bien, le rire provenant du décalage, de la loufoquerie de genres qui ne sont pas censés se croiser tout autant que de l’humour contenu dans le roman lui-même. Pour qui regarde une fiction au premier degré et n’en attend que le divertissement proposé, PRIDE + PREJUDICE + ZOMBIES est un bon spectacle. Les grandes lignes du roman de Jane Austen sont parfaitement respectées. A ce titre, PRIDE + PREJUDICE + ZOMBIES adapte réellement Orgueil et Préjugés.

On pointera cependant une limite : le mélange des genres reste hétérogène. De même que l’huile se mélange mal à l’eau, les zombies de PRIDE + PREJUDICE + ZOMBIES restent extérieurs aux enjeux romantiques qui font se croiser les personnages. Dans le grand chassé-croisé amoureux, dans le bal de la séduction, dans les petites combines pour se rapprocher ou éloigner deux partenaires potentiels, les zombis demeurent résolument extérieurs ; ils ne sont qu’un arrière-plan, une toile de fond. Les scènes alternent donc le marivaudage et l’intrigue amoureuse d’une part, les combats sporadiques avec les zombies de l’autre, mais il faut attendre les dernières séquences pour que ces derniers influent quelque peu sur les relations qu’entretiennent nos protagonistes.

PRIDE + PREJUDICE + ZOMBIES a eu les honneurs de l’ouverture du 34e Brussel International Fantasy, Fantastic, Thriller and Science-Fiction Film festival (BIFFF 2016). Il est sorti dans la foulée en salle en Belgique.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

Share via
Copy link