Un texte signé Patrick Barras

Série

The heavy water war, les soldats de l’ombre

Prenant appui sur des faits (et certains personnages) réels, THE HEAVY WATER WAR relate l’opération secrète qui, en 1943, conduira un commando de résistants norvégiens chapeauté par l’armée anglaise au sabotage d’une usine nichée dans les montagnes norvégiennes. Usine dévolue à la production massive d’eau lourde, ingrédient indispensable à la mise au point de la première bombe nucléaire allemande…

Pour qui aurait vu LES HÉROS DE TÉLÉMARK d’Anthony Mann – 1965, le pitch apparaît déjà familier. Mais avec son format de mini série de 6 épisodes, une durée deux fois supérieure, THE HEAVY WATER WAR se démarque en grande partie du film de Mann.

Per-Olav Sorensen affirme que ce sont les questions morales et éthiques qui sous-tendent l’histoire de THE HEAVY WATER WAR qui l’ont motivé et conduit à en accepter la réalisation.
Exit donc l’orientation majoritairement action du métrage de 65 (action qui reste néanmoins présente, rassurons-nous). Exit aussi l’héroïsme schématique et le manichéisme propres au gros de la production des films de guerre américains des années 50-60. Le scénario de la série préfère axer une part importante de sa mécanique sur la psychologie de ses trois personnages principaux et la détermination qui les anime respectivement. Chaque épisode est par ailleurs en grande partie construit sur le montage alterné de séquences impliquant à tour de rôle les trois protagonistes.

Werner Eisenberg, savant allemand lauréat en 1932 du prix Nobel de physique pour ses travaux sur la physique quantique, prend la tête du projet de fabrication d’une bombe atomique pour l’armée. Bien qu’il ne semble pas présenter de sympathie particulière pour le parti Nazi, rien ne lui importe plus que de pouvoir poursuivre coûte que coûte ses recherches, auxquelles la bombe ne se voudrait être qu’un prétexte. Personnage ambigu, prêt à fanfaronner dans des soirées officielles pour épater et séduire les dignitaires de l’armée, et qui fait la sourde oreille dès que l’on aborde les pires conséquences du régime hitlérien.

Dans le camp adverse, Leif Tronstad est également un savant, spécialiste de l’eau lourde et en partie responsable de la planification de sa production au sein de l’usine norvégienne convoitée puis réquisitionnée par les allemands. Très tôt conscient du fait que la réussite de Eisenberg mènerait à la victoire de l’Allemagne et à une catastrophe pour les reste du monde, il se réfugie en Angleterre afin de trouver les moyens de contrecarrer son projet. Il endosse le rôle de recruteur et de « coach » des groupes de résistants norvégiens qui seront chargés du sabotage de cette usine qu’il ne connaît que trop bien. Il possède cependant une part sombre de par son apparente indifférence face au fait de devoir sacrifier certains de ses compagnons ou des civils innocents lors des opérations.

Enfin Bjorn Henriksen, le directeur de l’usine, affiche une détermination farouche à vouloir préserver à tout prix les intérêts de la société qui l’a nommé à un poste prestigieux ainsi que la santé économique de son pays. Une position et une attitude qui pourraient le mener à une certaine rigidité et à toutes les compromissions s’il ne s’humanisait pas peu à peu au fil des épisodes.

Trois rôles secondaires féminins forts (qualifions-les plutôt de complémentaires) viennent en contrepoint tenter de tempérer la détermination des personnages centraux, les amenant à se questionner et à mettre en balance leur humanité avec la mission qu’ils se sont attribuée. Ce qui permet au spectateur de ne pas les percevoir de manière univoque comme trois monolithes. La femme de Heisenberg luttant régulièrement pour rappeler à son mari son appartenance à une famille. Celle de Henriksen, qui ne veut pas voir le sien perdre son âme dans une collaboration inconditionnelle avec les allemands. Enfin et bien plus présent, le personnage de Julie Smith, jeune militaire anglaise qui vient constamment tenter de faire comprendre à Tronstad les inévitables répercussions et conséquences humaines propres à chaque opération militaire.

Avec un budget représentant le dixième de celui d’une grosse série américaine et en tout cas bien inférieur au montant d’une production européenne de prestige, force est de reconnaître que THE HEAVY WATER WAR s’avère être une réussite visuelle, à la hauteur de ses ambitions de départ. Tout est affaire de dosage. Décors reconstitués convaincants et plans d’action discrètement et efficacement soutenus quand besoin est par des effets numériques de bonne facture. Une photographie de qualité faisant la part belle (quoique de manière parfois un peu systématique) aux contrastes chaud/froid, et au final une mise en scène sobre qui sert parfaitement le ton général de la série.
Car en matière de dosage la plus belle réussite reste le savant mélange entre action, approche humaine et étude des différents protagonistes de l’histoire.

À apprécier en une seule fois (ce que permet la sortie en DVD) comme un bon film de 4h 30.


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- Article rédigé par : Patrick Barras

- Ses films préférés : Il était une fois en Amérique, Apocalypse now, Affreux, sales et méchants, Suspiria, Massacre à la tronçonneuse

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