Un texte signé Clara Sebastiao

Japon - 1971 - Masao Adachi
Titres alternatifs : Funshutsu kigan: 15-sai no baishunfu
Interprètes : Michio AKIYAMA, Yuji AOKI, Masaaki HIRAOKA, Susumu IWABUCHI, Makiko KIM

retrospective

Prière d’extase

PRIERE D’EXTASE est réalisé en 1971 par Masao Adachi. Cinéaste pink, militant politique, et révolutionnaire, Adachi se démarque de ses semblables par son engagement politique extrême et infaillible.
Il découvre le cinéma au sein du ciné-club de l’Université du Japon, et s’adonne à la réalisation avec plusieurs de ses camarades. Le petit groupe fonde au début des années 1960 le VAN Film Institut de recherche scientifique visant à produire un cinéma expérimental et surréaliste.
Après quelques années d’apprentissage, Adachi réalise ses premiers films grâce aux productions Wakamatsu. Il écrit pour le cinéaste certains de ses films les plus célèbres tels que QUAND L’EMBRYON PART BRACONNER, LES ANGES VIOLES, SEX JACK, ou encore L’EXTASE DES ANGES. Il apporte à Wakamatsu un discours plus élaboré et plus idéologique et donne ainsi une profondeur remarquable à ses œuvres.
Il travaille également au scénario pour Nagisa Oshima avec LA PENDAISON et JOURNAL D’UN VOLEUR DE SHINJUKU.

Masao Adachi relie de manière intime politique et sexualité au travers de toute sa filmographie.
Pour rappel, il est interdit au Japon d’avoir une armée, le pays ne possède que des forces japonaises d’autodéfense. Sa vulnérabilité le met donc sous la coupe des Etats-Unis, et ce depuis la seconde guerre mondiale. Le capitalisme, la mondialisation, et l’ultralibéralisme américains sont les modèles économiques et sociétaux nippons. Ces quelques éléments socio-politiques sont reliés directement au scénario de PRIERE D’EXTASE, inspiré d’un fait divers relatant le suicide d’une étudiante de dix-huit ans.

Un groupe de quatre adolescents déambule dans les rues d’un Tokyo désert et brumeux et s’interroge sur sa place dans la société et sur sa sexualité. Quand un pays ne s’appartient plus à lui même, comment la jeunesse peut-elle trouver un sentiment d’appartenance ? Quand la main de fer du capitalisme empoigne le système, comment ne pas voir sa sexualité comme une monnaie d’échange ?
Les adolescents sont les fantômes d’une nation dépossédée de sa grandeur, et sous contrôle. Ils cherchent une liberté qu’ils n’atteignent jamais, fuyant les diktats de la société mais s’imposants leurs propres codes stricts et intransigeants.
La question de la grossesse et de l’enfantement et elle aussi étroitement liée à la politique. Yasuko, l’un des membres du groupe, est une jeune fille de quinze ans qui découvre la prostitution et tombe enceinte. Elle se retrouve face à une situation paradoxale : la prostitution est censée la libérer du sexe et de la chair, mais la grossesse la ramène à son propre corps. Est-elle maîtresse de sa condition ? Ou est ce que son corps devient un objet pour servir le peuple en enfantant ? On retrouve cette problématique autour de la grossesse dans d’autres de ses longs-métrages tels que AVORTEMENT et A LA RECHERCHE DE LA CONTRACEPTION ULTIME.

Toutes ces interrogations sont soulevées avec brio par Adachi dont la mise en scène est d’une beauté froide et radicale. La musique, tantôt éthérée et tantôt oppressante vient sublimer un noir et blanc maîtrisé entrecoupé de scène en couleurs où le rouge de la violence, de l’extrême gauche, et du Japon, vient se mêler au rose de la chair des actrices.

Masao Adachi réalise à la suite de PRIERE D’EXTASE, ARMEE ROUGE – FRONT DE LIBERATION PALESTINIEN – DECLARATION DE GUERRE MONDIALE aux côtés de Koji Wakamatsu.
Ils partent cette année là avec Nagisa Oshima et Kiju Yoshida (EROS + MASSACRE) au Liban pour rejoindre les forces de l’armée rouge japonaise, au retour du Festival de Cannes. Adachi ne revient que dans les années 90. Il passe quatre ans en prison au Japon et est assigné à résidence jusqu’à aujourd’hui.

Voir PRIERE D’EXTASE, c’est voir la situation nipponne des années 60 au travers des yeux d’un cinéaste d’extrême gauche. C’est explorer une partie de la politique japonaise et c’est se plonger dans ce que le cinéma pink a fait de plus engagé.


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- Article rédigé par : Clara Sebastiao

- Ses films préférés : Mais ne nous délivrez pas du mal, Sayat Nova, Amer, Kissed, Naked Blood


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