Un texte signé Philippe Delvaux

Finlande - 2016 - Mika Rättö
Titres alternatifs : Samurai Rauni Reposaarelainen
Interprètes : Mika Rättö, Reetta Turtiainen, Veera Elo, Harri Sippola

Offscreen 2017review

Samurai Rauni

Une anonyme « larme amère » paie un groupe de ninjas pour tuer un samouraï violent et irrespectueux. Mais ce dernier, plus brigand que rônin, se débarrasse vite de la confrérie noire. Il n’aura dès lors de cesse de trouver qui se cache sous l’appellation de « larme amère », et son enquête se révèlera pour le moins violente.

Ah oui, petit détail, et non des moindres : tout ceci se passe en Finlande !

Et boum, voici l’objet filmique non identifié (OFNI) du moment !

Une bande tournée par quelques frappadingues d’un quelconque village reculé d’un pays relativement peu présent dans le cinéma de genre. Et bien entendu, ça ne ressemble à pas grand-chose de connu, ce qui suscite d’emblée notre intérêt.

Le cinéma asiatique a depuis longtemps déjà le vent en poupe sous nos latitudes. Mal digéré, il aura été régurgité par le cinéma occidental à différentes sauces. On se souvient des « westerns sojas » dans les années ’70 puis des ninjas américains de la Cannon dans la décennie suivante. On trouve ensuite toute une imagerie ou un ensemble de codes importés du cinéma d’action asiatique et qui percoleront dans le cinéma occidental, jusqu’à l’hommage déférent de Tarantino avec KILL BILL.

Mais ici, c’est encore autre chose, on se trouve plus dans l’objet culte. Le cinéma décalé, dont la place dans l’écosystème actuel est peu lisible : les salles ne l’accueilleront sans doute pas, au contraire des festivals, où il devra se faire remarquer pour espérer ensuite une vie économique en vidéo ou autre VOD.
SAMURAÏ RAUNI est un jouissif mash-up entre le cinéma asiatique, dont sont repris les codes narratifs, et le … euh… on ne voit pas très bien quoi… on dira un cinéma indépendant nordique, fait de bric et de broc, dont le résultat ne ressemble à rien de connu et n’engendrera pas de successeurs. Une de ces pièces uniques qui ravit l’amateur d’insolite.

Très drôle, le film fonctionne sur le décalage. Traitée dans un film japonais, la même intrigue nous baignerait sans doute dans des eaux bien connues, mais transposée abruptement en Finlande, il n’est plus possible de la suivre au premier degré. Les situations, les réactions, les dialogues, tout concourt à nous faire rire, selon ce comique minimaliste et à froid, qui sied si bien à un certain cinéma du Nord.

Mention spéciale aux costumes et coiffures du film, aussi magnifiquement loufoques que bigarrés, et qui rhabillent les personnages aux couleurs d’un Japon réinventé à bases de fripes et autres matériaux de récupération : telle coiffe d’une geisha s’ornera d’un coupe-œuf, tel personnage fera seppuku à l’aide d’un… vilebrequin (hilarité garantie)… Takashi Miike n’aurait pu faire mieux ! Ayant dû œuvrer avec un budget d’à peine 50.000 euros, l’équipe de production aura écumé les brocantes et autres vide-greniers pour les décors et costumes. Nous voici clairement dans une configuration où la réussite nait de la contrainte, budgétaire en l’occurrence.

On pourrait vaguement trouver un cousinage, dans ce principe anachronique, avec les chevaliers à motos du CHEVALIER de Brian Helgeland (2001). Encore que l’analogie sera encore plus parlante avec le KNIGHTRIDERS de Georges Romero (1981) puisque c’est le mode de vie des personnages qui se trouve en décalage avec la société. Enfin, le festival Offscreen, qui programmait SAMURAÏ RAUNI, projetait quelques jours plus tôt THE LOVE WITCH, qui usait pareillement du décalage induit par une microsociété vivant en marge.

Et c’est bien de ça qu’il s’agit : tous les personnages de SAMURAÏ RAUNI vivent, s’habillent, parlent, pensent selon les règles d’une société féodale japonaise, alors que le monde qui les entoure reste celui de la Finlande contemporaine. KNIGHTRIDERS est construit sur la friction des deux mondes alors que dans SAMURAÏ RAUNI, la « réalité » ne fait irruption que par la résolution de l’intrigue. Tout le reste du métrage est construit en vase clos à l’intérieur de cette microsociété qui nous est dès lors donnée comme seule réalité. En 2017, on peut finalement renvoyer THE LOVE WITCH et SAMURAÏ RAUNI à ce qu’ils peuvent nous apprendre de notre époque. Sans doute sans le vouloir, ils confirment ce que la sociologie décèle dans nos sociétés : l’émergence et l’affirmation des « tribus » qui, plus massivement que par le passé, peuvent vivre dans des mondes distincts et fermés sur eux-mêmes. Ici celui fantasmé d’un orient de pacotille, là celui de sorcières sixties en toc. Dans les deux cas, le fantasme d’un ailleurs géographique et temporel, plus scintillant pour ceux qui en font partie que le monde contemporain, plus lisible aussi. Dans les deux cas, l’échec de ces utopies sera patent (mais bon, nuançons : on reste dans du cinéma si pas de genre, du moins apparenté, et pas dans des films portant une thèse).

SAMURAÏ RAUNI est donc très original, et peut-être moins gratuit dans ce qu’il a à dire que ce qu’une première impression pourrait laisser penser. Nous l’avons adoré. Pour autant, l’esthétique ou l’humour peuvent parfaitement laisser de glace. Le film ne convaincra pas tout le monde. Vous adorerez ou rejetterez avec la même légitimité. Mais nous partons du principe d’une bonne partie du lectorat de Sueurs Froides apprécie les œuvres « autres » et sera encline à lui donner sa chance.

SAMURAÏ RAUNI a été projeté en présence des réalisateur et producteurs à l’édition 2017 du festival Offscreen.

Update: En avril 2017, nous écrivions que “les salles ne l’accueilleront sans doute pas”. Homme de peu de foi que nous sommes… Un peu plus d’un an plus tard, le cinéma NOVA (Bruxelles), qui avait déjà accueilli la première belge du film dans le cadre de l’indispensable festival Offscreen, offre cette fois à Samouraï Rauni une vraie sortie (septembre-octobre 2018). Et comme au NOVA on aime faire les choses correctement, la sortie est accompagnée d’une programmation “Samouraï Gaijin”, soit les films mettant en scène des samourai non japonais ou du moins hors contexte: BLIND FURY (1989), THE CHALLENGE (1982), SAMOURAI COP et le premier western soja issu d’Italie: LE CAVALIER ET LE SAMOURAI (Luigi Vanzi, 1968).


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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