Un texte signé Patrick Barras

Italie - 1976 - Carlo Lizzani
Titres alternatifs : San Babila ore 20 : un delitto inutile, Tuer pour tuer
Interprètes : Pietro Brambilla, Giuliano Cesareo, Daniele Asti, Pietro Giannuso, Brigitte Skay

retrospective

San Babila : Un crime inutile

À propos du cinéma transalpin, il est intéressant de constater que, depuis les débuts du Néo Réalisme, il ne nous propose ses meilleures productions, les plus originales, captivantes et abouties, que quand il se pose en tant que cinéma des errances. Errances de ses anti-héros propres à mettre en lumière les dérives d’une société qui n’en finit pas de se chercher dans le conflictuel. Ce ne sont pas Dino Risi, Ettore Scola, Elio Petri (s’ils étaient encore de ce monde) et tant d’autres qui pourraient affirmer le contraire.

Force est de reconnaître que SAN BABILA : UN CRIME INUTILE bénéficie pleinement, quoique avec une certaine modestie liée à son statut de production de genre, de ce constat.

S’inscrivant dans la veine du thriller politique tel que chez nous Yves Boisset ou Alain Jessua ont pu aussi nous livrer quelques fleurons, le film s’applique à démonter la mécanique conduisant à un crime des plus ignobles et ineptes à la fois. Carlo Lizzani nous expose durant les différentes étapes d’une journée les divagations d’un quatuor de jeunes militants néo-fascistes, apprentis terroristes, depuis une matinée qui débute par l’enterrement d’un vieux fasciste jusqu’à un début de soirée tragique.

Au delà de leurs agissements contestables, le réalisateur s’applique surtout à dépeindre dans un premier temps quelques éléments de la vie et de la psychologie de ses protagonistes en se penchant dans quelques scènes sur le cas de chacun, tout en alternant avec d’autres soulignant leur comportement en bande. Si l’on perçoit nettement que leur existence est dominée par un manque d’amour, parfois maladroitement compensé par de l’argent, une relative absence des parents, quand ce n’est pas une totale démission de leur part, on sent vite qu’il ne s’agit pas ici de se mettre en quatre pour les dédouaner en partie ou de nous soutirer une quelconque once d’empathie larmoyante.

Franco et Miki sont deux jeunes issus d’un milieu aisé, tendance « fils à maman ». Miki est clairement le chef de la bande (c’est d’ailleurs lui qui possède une voiture), un étudiant qui se plait à faire briller sa plume quand il s’agit de dénoncer dans ses dissertations la déliquescence du monde moderne et de mettre en avant des thèses fascisantes. Franco quant à lui apparaît plus timoré et est poussé par les autres à constamment faire ses preuves, tant sur le plan de l’activisme militant que sexuel. Deux domaines dans lesquels il se révèlera passablement vierge, mais aussi impuissant… Que penser d’ailleurs de gens qui s’entrainent au tir sur des silhouettes féminines avec des cibles en place des seins, de la bouche et du Pubis ? Image certes téléphonée mais qui constitue le parfait visuel de l’affiche originale du film.

Alfredo est le prolo du groupe. Petit employé « modèle » dans une boutique, il est déjà marié (on apprendra cependant qu’il a violé sa femme quand elle avait 14 ans) et père d’un enfant. Son désir de ressembler aux autres et d’être reconnu par eux est flagrant et il trouve dans le mouvement néo-fasciste une forme de valorisation sociale.

Fabrizio, enfin, est le beau parleur et le fier à bras, enclin à pérorer et à se lancer dans des diatribes et des suites de clichés qui sentent le Nietzsche mal digéré. Ses exploits d’être supérieur se limitent en fait à tabasser une femme qui ne veut pas lui obéir et à pousser les autres à agir, s’impliquant assez peu ; et toujours couvert par le nombre, il est vrai. Au demeurant, ce délicieux personnage fait aussi office d’indic pour la police ou un journaliste de gauche, poussé par ses intérêts propres ou l’appât du gain.

Une belle brochette qui puise sa force dans le phénomène de meute, dans son apparence et ses codes vestimentaires, mais également confortée par une relative impunité garantie par une police présente mais aveugle, peu désireuse de se mouiller, et par une population qui assiste effarée à ses exactions sans mot dire. Une meute qui par ailleurs exprime des craintes dès qu’elle sort de son territoire balisé.

La force de SAN BABILA… est d’être fortement ancré dans le réalisme. Carlo Lizzani déjà, décide de tourner en partie son film Piazza San Babila, une place de Milan délimitant le périmètre ou se cantonnent les militants d’extrême droite dans les années soixante dix et également le lieu où s’est déroulé le fait divers réel dont s’inspire le scénario. Il y a là de sa part une audace et une prise de risque non négligeables, vu les tensions qui secouent l’époque. Cela lui permettra néanmoins de tourner quelques séquences sur le vif, enregistrant les réactions de passants sous un angle quasi documentaire, en particulier lors d’un (faux) défilé de militant néo-fascistes au pas de l’oie, d’une manifestation (bien réelle cette fois-ci) de syndicats gauchistes, ou encore d’une scène où les quatre compères s’exhibent en pleine rue avec des godemichés. L’utilisation fréquente de longues focales rajoute un aspect reportage évident à ces passages. Le fait d’employer majoritairement des acteurs inconnus participe également grandement à la démarche.

En termes cinématographiques le morceau de bravoure du métrage reste cependant la longue séquence de traque et d’agression qui motive le titre. Ici, la photographie et l’atmosphère froides qui baignent déjà une bonne partie du film trouvent leur point d’orgue dans des architectures rendues plus imposantes et désertées, où les rares passants ne sont plus, de manière emblématique, filmés que de dos et réduits à de simples silhouettes furtives, et où le rythme du montage et l’alternance des angles nous donnent encore l’espoir que tout ne se conclue pas de manière tragique.

Les dernières images, quant à elles, nous laissent comprendre que Lizzani se désintéresse complètement du sort de la triste bande. Attitude à laquelle le spectateur adhère totalement, tout compte fait, et de manière logique au vu de la construction du récit.

En tant que révélateur et témoin d’une époque, de celle qui s’étendra de la fin des années 60 au début des années 80, SAN BABILA : UN CRIME INUTILE mérite d’autant plus notre attention qu’il pourra trouver des échos dans notre la notre, à bien y regarder…


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- Article rédigé par : Patrick Barras

- Ses films préférés : Il était une fois en Amérique, Apocalypse now, Affreux, sales et méchants, Suspiria, Massacre à la tronçonneuse


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