Un texte signé Sophie Schweitzer

retrospective

Suceur de sang

Le nanar est le terme familier pour qualifier un film si mal réalisé qu’il en devient amusant malgré lui. Bien souvent l’on en trouve un certain nombre dans le cinéma d’exploitation des années 70/80 où nombre de petits productions fournissaient des films avec un budget minimes, des acteurs qui n’en étaient pas vraiment, des scénarios tenant sur un mouchoir de poche où l’on avait systématiquement des intrigues tirées par les cheveux et des situations peu crédibles frôlant le ridicule et le grotesque.

Ces films là ont connus un franc succès d’abord en Drive-in puis en VHS si bien qu’ils ont inspirés à leur fan un nouveau genre, le fake nanar, une parodie de nanar où l’on reprend les codes du film d’exploitation mal fichu et sans moyen, reproduisant volontairement l’effet comique du ridicule de certaines situations. C’est ainsi qu’on a vu des films comme ceux produit par la Troma voir le jour, cette boîte de production s’étant spécialisée dans le genre, avec son cultissime TOXIC AVENGER mais aussi des films comme KILLER KLOWN FORM OUTER SPACE. Plus tard, Tarentino et Rodriguez reprendront le genre avec leur version Grindhouse dont PLANET TERROR en est le symbole actuel.

SUCEUR DE SANG appartient à cette filiation. En fait, il aurait pu être produit par la Troma. On retrouve l’exagération de la lenteur de certaines scènes sans que cette lenteur soit justifiée, les dialogues complètement grotesques, les acteurs surjouant jusqu’à atteindre le parfait ridicule. Le film joue tellement la carte du nanar, qu’on se demande parfois si tout est « fait exprès ». La limite entre l’humour et le vrai nanar devenant sacrément mince par moment.

Amateur de nanar, personnes fréquentant Nanarland avec amour et ferveur, amoureux du genre, vous allez apprécier ce film qui ne joue pas dans la subtilité. En revanche si vous aimez la vitesse, les explosions et les films bourrins passez votre chemin. SUCEUR DE SANG sous son aspect faussement nanar est une déclaration d’amour au cinéma de genre.

Nous plongeant dans une Amérique profonde, une ville peuplée de fermiers abrutis où les shérifs préfèrent ne pas inquiéter les bonnes gens plutôt que mener une véritable enquête, nous nous retrouvons aux côtés du jeune Jeff, reporter, fils de fermier, coincé ici faute de moyens, rêvant de la grande ville d’où vient la jeune femme qui va l’accompagner durant tout le film. Jeff vient de découvrir que son père le menace de lui retirer son héritage s’il ne reprend pas la ferme, désespéré il se réfugie dans les bras d’une citadine venant tout droit de Dallas. Bien sûr la vie de notre jeune héros va être bouleversée par l’arrivée d’un météore produisant des ondes transformant les bonnes gens du patelin en d’effroyables suceurs de sang assoiffés de chair fraîches.

Le film de Gen Coburn est un hommage à tous les films d’exploitations produits pour alimenter les Drive-in. Ces cinémas en plein air produisaient eux mêmes leur pelloche pour alimenter leurs soirées où étaient généralement projetés deux films sur la même thématique. Il suffisait qu’un film fonctionne bien pour qu’on le décline de toutes les manières possibles. Et dans les thématiques qui ont connus un franc succès il y avait bien sûr les redneck. Ces paysans travailleurs du sud, à l’image souvent négative, avaient dans ces pelloches une images double, celle du grotesque hérité de la littérature et bande dessinée mais aussi celle terrifiante qu’on retrouve dans LA COLINE A DES YEUX et MASSACRE A LA TRONCONNEUSE. Inévitablement cette image du redneck a abouti à un tas de déclinaison y compris celle d’envahisseurs extraterrestre.

Au-delà de l’hommage cinématographique, ainsi il y a de nombreuses références et pas seulement à des films d’exploitation, puisqu’il y a une scène de douche évoquant très fortement celle de Psychose, il y a aussi l’humour potache et la volonté de faire en somme le pire film bis voire Z n’ayant jamais exister.

Les acteurs surjouent tout le temps, au point qu’on se demande s’ils sont vraiment acteurs, certains plans repassent plusieurs fois, il y a carrément des scènes de sexe où l’on filme la maison de loin dans un plan statique pendant au moins trente secondes qui paraissent alors interminables, les dialogues sont assez what the fuck avec des insultes sortant de l’espace, des punch line déconnectées de la conversation et du contexte. Glen Coburn multiplie les situations comiques où le grotesque frôle l’inquiétant comme un militaire qui appelle le président des états unis pour demander s’il peut exploser quelques zombies vampires à la bombe nucléaire. En bref c’est de l’humour « plus c’est gros plus c’est drôle » qui en fait des caisses, mais le fait bien puisque restant toujours le style des films d’exploitation qui défilaient alors dans les drive-in à l’époque dont le style est impeccablement copié jusqu’au doublage désastreux, il faut absolument regarder le film en VF.

Tout le génie du film est de parvenir à faire rire le public en suivant à la lettre les us et coutumes des films d’exploitations de l’époque à tel point qu’on pourrait croire que c’est pas fait exprès. Chaque personnage est grotesque à sa manière, très caricaturé et à la fois caractérisé. Ainsi le héros passe son temps à renifler du gaz et semble assez vite renoncer face à l’adversité qu’elle soit paternelle ou une menace extraterrestre, les scientifiques se retrouvant coincé entre leur patron devenu un zombie vampire de l’espace et un général fou à la Docteur Folamour ne trouvent rien de mieux que d’aller se défoncer aux produits qu’ils sont supposés tester, sans parler des forces de police symbolisées par l’ami du héros à une vie sexuelle débridée. En bref nous avons le droit à quasiment tous les clichés qu’on peut retrouver dans le cinéma de genre avec quelque chose de très exagéré qui fonctionne malgré tout à travers un étrange équilibre.

SUCEUR DE SANG est un bijoux qui s’ignore, un espèce d’ovni, un excellent moyen de se mettre aux nanars. Drôle, même si chaque trait est grossi, et tout semble exagéré, cet humour n’est pour autant pas si grotesque, au contraire, une certaine poésie s’en dégage. Il est dommage d’ailleurs qu’il n’existe pas en édition DVD car c’est vraiment une pépite à découvrir.


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà

Share via
Copy link