Un texte signé Michaël Guarné

Corée du Sud - 2005 - Park Chan-wook
Interprètes : Lee Yeong-aeh, Choi Min-sik, Kim Byeong-ok, Nam Il-woo

asian-scansBIFFF 2017

Sympathy for Lady Vengeance

Le dernier petit bijou de Park Chan-wook vient clore ce qu’on appelle sa ” trilogie vengeresse “, triptyque entamé par SYMPATHY FOR MR. VENGEANCE en 2002 et poursuivi par OLD BOY en 2004. Après les vengeances musclées – car masculines – de ces derniers, Park choisit ici d’apporter une touche de féminité. Il donne le rôle principal à Lee Yeong-aeh, interprète du sergent Sophie E. Jean dans JOINT SECURITY AREA, ancien métrage du même réalisateur sur les relations intra coréennes.
SFLV, c’est l’histoire de la gracieuse Geum-ja qui, peu avant la vingtaine, est condamnée à passer treize années derrière les barreaux pour le kidnapping et le meurtre d’un bambin de cinq ans. Une détention qui va lui permettre de tisser un réseau de relations fort utile afin de mener à bien son plan savamment calculé, fruit de treize ans de réflexion, sur la manière de remonter jusqu’à Baek, l’objet de sa méticuleuse vengeance…
La mise en scène de Park est plus que jamais identifiable en un coup d’œil. On reconnaît en effet sa touche dès le générique d’intro aux couleurs rouges et blanches, couleurs hautement symboliques pour un film qui ne l’est pas moins. Un blanc synonyme de pureté qu’on retrouve tout au long du film, symbolisé par le tofu aux détours de plusieurs scènes, ou par la neige lors de la très jolie séquence finale. Et un rouge nous prévenant d’emblée que le sang va couler. Le contenu de l’œuvre est sans aucun doute métaphorique, mais le tout n’est pas pompeux pour autant : le réalisateur coréen a travaillé son histoire à la perfection et, dans un sens, libre au spectateur d’y voir ce qu’il veut. Par exemple le petit chat noir de Jenny, la fille de Geum-ja, est sublimement évoqué par le plan d’une voiture, filmée la nuit vue de dessus, et dont l’effet sur les phares peut rappeler les yeux du chat en question. Park joue donc avec l’image à merveille et les délires les plus fous prennent forme pour notre plus grand plaisir. On pense au rêve de Geum-ja dans lequel elle s’imagine charriant sur un traîneau un chien à la tête de Baek, avant de lui coller une balle à bout portant. Une fois de plus, nous retrouvons le blanc et le rouge qui se marient…
La mise en scène excellemment bien pensée pourra néanmoins déplaire au premier abord. De nombreux flash-back s’entremêlent au début du film et nous présentent les camarades de cellule de Geum-ja de façon assez hachée. Pour certains, il s’agit d’un moyen habile de pénétrer dans la peau de Geum-ja et d’appréhender son état d’esprit ; pour d’autres, c’est seulement un montage confus et une mise en scène surchargée. Certes, la narration paraît quelque peu asphyxiée à première vue, mais c’est exactement la même chose pour OLD BOY. Le spectateur est plutôt déboussolé et désemparé, à l’image du personnage principal Oh-Daesu. Dans SFMV, la narration est plus linéaire mais, là aussi, Park surprend son monde lorsqu’à la moitié du film survient l’enlèvement. Le ton du métrage change alors du tout au tout. On retrouve ainsi cette variété d’ambiances dans SFLV. Quelques scènes demeurent très viscérales, comme celle où Baek, entre deux bouchées d’algues et de riz, se lève pour prendre sa compagne sur la table, tel un vulgaire bout de viande : une séquence qui sait mettre mal à l’aise et qui pourra rappeler OLD BOY pour son aspect ” rentre dedans “… Certains passages flirtent même avec le burlesque et l’humour noir, humour dont Park a déjà montré l’efficacité dans JUDGEMENT, son sympathique huit clos de 1999 se déroulant dans une morgue.
Par ailleurs la bande-son de Choi Seung-hyun, à qui l’on doit la musique de OLD BOY, s’avère diablement efficace. Le classique est une fois de plus à l’honneur et les adeptes reconnaîtront des reprises de Vivaldi ou Paganini. Mention spéciale au thème principal envoûtant qui instaure une ambiance mélancolique dès les premières notes.
Comme dans ses précédents films, Park crée des personnages avec une réelle consistance. Lee Yeong-aeh s’est métamorphosée depuis JSA. Elle est passée de la fille timide à la femme froide, déterminée et manipulatrice. Ici Geum-ja aide ses camarades de cellules afin qu’elles puissent l’aider en retour lorsque l’heure de la vengeance aura sonné… Idem pour Choi Min-sik qui passe avec brio du kidnappé au kidnappeur en incarnant un professeur d’anglais qui aime bien jouer avec les enfants…
En fin de compte, SYMPATHY FOR LADY VENGEANCE est sans conteste le film coréen de cette année 2005. N’espérez pas retrouver la fougue de OLD BOY ou bien l’aspect social de SFMV, car Park a définitivement suivi une autre voie pour la conclusion de sa trilogie. Le côté rédempteur est d’ailleurs encore plus prononcé que dans OLD BOY, Geum-ja cherchant par-dessus tout à se racheter moralement, aussi bien vis-à-vis d’elle-même que de sa fille Jenny. Celui qu’on a surnommé ” M. Vengeance ” finit donc son cycle en beauté en signant une œuvre réfléchie, servie par une esthétique irréprochable ainsi qu’une mise en scène maîtrisée.


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- Article rédigé par : Michaël Guarné

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