Un texte signé Sophie Schweitzer

Festival Sadique Master 2016review

Tokyo Grand Guignol

Dans la capitale nippone, d’étranges choses se passent la nuit à l’abri des regards. Un homme doté de supers pouvoirs macabres, un loup garou, des fantômes, des yakuzas, d’étranges malédictions, Tokyo réputée pour ses excentricités dévoile un visage fantastique effrayant sous l’œil de cinéastes français.

Financé en partie par une campagne de crowdfunding, TOKYO GRAND GUIGNOL est un projet japonais audacieux qui a réuni autour de lui quatre cinéastes français indépendants partis tourner chacun un segment au pays du soleil levant. Les acteurs sont tous japonais, les équipes, un joyeux mélange de nationalités et la thématique la même : l’amour du cinéma de genre, du fantastique bien sûr, du gore aussi, et un soupçon de giallo. Initiative intéressante, le film offre un mélange de cultures qui, curieusement, se complètent, se répondent, et s’alimentent. Une œuvre ambitieuse qui montre tout l’intérêt des mélanges culturels.

Le premier segment, « Endless love » de Yann Moreau entame les festivités en jouant sur des thématiques très nippones. Une agence d’aide au suicide, des yakuzas, la solitude dans la grande ville, tous ces éléments résonnent tellement avec l’univers de Tokyo, qu’il dépeint. L’histoire de cet homme ayant perdu sa femme se découvrant des supers pouvoirs macabres met du temps à trouver le rythme, le ton et à se développer. L’introduction un peu longuette est cependant nécessaire étant donné la complexité de l’histoire. Néanmoins, une fois que tous les éléments sont installés, le film part dans une explosion de violence assez jouissive. Un segment d’autant plus intéressant qu’il offre une fin aux résonances macabres édifiante! On regrette néanmoins l’emplacement de ce segment qui aurait été mieux positionné en troisième place.

« Treason » de François Gaillard, second segment, est le seul à vraiment essayer de nous faire peur (et à y parvenir), mais c’est également et surtout, du vrai grand-guignol. Ce genre théâtral proposait des histoires, souvent tirées par les cheveux, de meurtres, de savant fou, de tueur en série, de tragédies macabres où la violence et le gore prédominaient. Au cinéma, c’est le giallo qui s’en rapproche le plus. Or, François Gaillard est un amoureux du giallo, comme le démontre une scène particulièrement réussie dans une salle de bain, et il n’a pas à rougir face aux maîtres du genre (on pense surtout à Dario Argento ou Lucio Fulci). L’actrice est également remarquable, d’un charisme troublant. L’histoire de cette femme confrontée à un double maléfique renoue avec les grandes heures du cinéma fantastique avec une résonnance transalpine vraiment intéressante.

Pour le troisième segment, Gilles Landucci s’écarte de la thématique de l’anthologie. Certes, « La proie pour l’ombre » commence très bien avec une scène vraiment flippante qui se pose là en matière de fantôme. Il y a un p’tit côté SHUTTER dans cette séquence d’introduction. Cependant, le court-métrage quitte rapidement cette atmosphère pour laisser place à une chasseuse de fantôme très BUFFY. La romance qui vient ensuite a de quoi surprendre dans une telle anthologie mais on ne peut nier que le segment est néanmoins réussi et intéressant. Il aurait peut-être gagné à être en premier, et souffrirait ainsi moins de la comparaison.

Le dernier segment est une véritable explosion de folie. « Gooooood Boy » de Nicolas Alberny revisite la thématique du loup-garou avec des idées juste géniales. Espèce de grand n’importe quoi, le segment commence avec un jeune homme un peu stupide qui, après avoir été mordu par une statue de chien, se métamorphose au fur et à mesure en loup-garou tenant plus du chien que du loup. En recherche d’affection, il jette son dévolu sur une prostituée qu’il voudrait avoir pour maîtresse. Et c’est ainsi qu’on le voit devenir le premier loup-garou SM du cinéma. Original, drôle, et intense, c’est une belle manière de conclure l’anthologie.

Si chaque segment est très différent, cela permet au spectateur d’avoir un large panel au point de vue des styles, et cependant, peut-être qu’il y a trop de divergences entre chaque segment. Autant les deux premiers correspondent vraiment à ce que l’on peut attendre d’une anthologie avec une telle thématique, autant les deux derniers s’éloignent du grand-guignol. On regrette également l’ordre décidé pour les segments. En inversant l’ordre des courts-métrages le film aurait fait monter la pression au fur et à mesure. Cependant, l’unité du lieu, de l’atmosphère japonaise, fait tenir l’ensemble. On sent vraiment la rencontre entre le cinéma indépendant de genre français avec la folie nippone, et à ce titre, le film excelle. TOKYO GRAND GUIGNOL brille par une certaine originalité, de vrais moments de bravoure, des moments de flip, et s’offre comme un film fantastique et horrifique avec ses défauts et surtout ses énormes qualités. Et dans le cinéma français, c’est plutôt rare.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà

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