Un texte signé Alexandre Lecouffe

Italie - 1972 - Sergio Martino
Titres alternatifs : L'alliance invisible
Interprètes : Edwige Fenech, George Hilton, Ivan Rassimov

retrospective

Toutes les couleurs du vice

La carrière de Sergio Martino débute au tout début des années 70 et se poursuit jusqu’au milieu des années 80 qui marquent sa reconversion forcée, à l’instar de la plupart des réalisateurs de série B italiens, à la télévision. Artisan ouvertement commercial, souvent secondé par son frère producteur avisé, Luciano Martino, Sergio Martino a œuvré dans tous les genres du cinéma populaire de l’époque : western, sexy-comédie, polar (l’excellent RUE DE LA VIOLENCE, 1973), film d’aventures (LA MONTAGNE DU DIEU CANNIBALE, 1978) ou « post-nuke » (le très « bis » 2019 APRES LA CHUTE DE NEW YORK, 1983). C’est cependant dans le giallo qu’il signera ses meilleurs opus parmi lesquels L’ETRANGE VICE DE MISS WARDH (1971), LA QUEUE DU SCORPION (1971) ou TORSO (1973). TOUTES LES COULEURS DU VICE (titre français un peu hors sujet et parfaitement racoleur, le titre original signifiant « toutes les couleurs de l’obscurité ») marque la seconde collaboration entre le réalisateur et la magnifique actrice Edwige Fenech (avec laquelle il tournera une petite dizaine de films) qui après plusieurs apparitions mémorables dans des giallos, se spécialisera avec succès dans la sexy-comédie pour ne jamais plus en sortir.

Jane Harrison (Edwige Fenech) est une jeune femme très fragile hantée par des cauchemars liés au meurtre de sa mère lorsqu’elle était enfant et par une fausse couche qu’elle vient de subir. Richard (George Hilton, un habitué des giallos de Sergio Martino et des westerns, vu dans LE TEMPS DU MASSACRE de Lucio Fulci), son compagnon, semble la pousser à la consommation d’anti-dépresseurs et voit d’un mauvais œil ses rendez-vous chez un psychiatre conseillé par Barbara, la sœur de Jane. Alors que la jeune femme semble perdre la raison (elle est victime d’hallucinations et croit être suivie par un mystérieux homme aux yeux très bleus dont elle a rêvé), elle fait la connaissance de Mary, une voisine. Cette dernière la convie à une sorte de messe noire qui doit exorciser ses démons intérieurs ; après cette « cérémonie », Jane se sent davantage encore persécutée et la frontière entre la réalité et ses cauchemars se fait de plus en plus floue…

TOUTES LES COULEURS DU VICE surprend tout d’abord par sa capacité à retravailler la structure généralement bien balisée du giallo en y insufflant des éléments surnaturels et une ambiance irréelle. Cette forme d’hybridation où des motifs propres au thriller transalpin (les meurtres graphiques et ritualisés, le fétichisme, l’érotisme, le trauma enfantin…) rejoignent des motifs fantastiques (les morts inexpliquées, les apparitions, la sorcellerie…) était plutôt inédite à l’époque et le film de Sergio Martino semble alors préfigurer les grandes œuvres du giallo-fantastique que sont LE PARFUM DE LA DAME EN NOIR de Francisco Barilli (1974) ou SUSPIRIA de Dario Argento (1977). L’influence principale de TOUTES LES COULEURS DU VICE provient elle clairement de films ayant pour thème essentiel l’occulte et le satanisme, leur utilisation comme possible illustration de la folie d’une femme ; on songe bien évidemment au matriciel ROSEMARY’S BABY de Roman Polanski (1968) mais aussi à LES VIERGES DE SATAN de Terence Fisher (1968).

Le film étonne ensuite par son choix narratif et visuel plutôt audacieux qui fait se succéder séquences oniriques et scènes ancrées dans le réel pour progressivement les faire se chevaucher puis se confondre en omettant de signifier les repères logiques, temporels et spatiaux. De fait, les moments-clés de l’intrigue (les scènes d’initiation et les rituels satanistes de la secte, le meurtre-suicide de Mary par Jane,…) et les différents personnages énigmatiques gravitant autour de l’héroïne, semblent être des émanations de l’univers mental de la jeune femme. La mise en scène de Sergio Martino fait preuve d’une réelle inspiration et le métrage est parsemé d’images évocatrices : les apparitions stylisées de l’éventreur aux yeux bleus (l’inquiétant Ivan Rassimov, vu dans SHOCK de Mario Bava, 1977), la demeure gothique (où ont lieu les messes noires) filmée en plan large et donnant l’impression d’être figée à l’intérieur d’un tableau, le métro désert dans lequel Jane déambule affolée…

Visuellement, TOUTES LES COULEURS DU VICE est en adéquation avec le motif principal qu’il développe (la confusion progressive entre rêve et réalité) ; Sergio Martino fait flirter son film avec l’expérimental, multipliant les effets visuels déformant (nombreuses séquences en « fish-eye », contre-plongées dénaturant le cadre, jeu sur les perspectives, visions psychédéliques,…) pour mieux figurer la confusion mentale qui anime (peut être) son personnage féminin. Que l’amateur de giallo traditionnel se rassure cependant : nous avons bien affaire à un thriller transalpin avec sa demi-douzaine d’assassins potentiels, ses séquences très graphiques et son érotisme très présent ; Edwige Fenech est, fort heureusement, souvent dénudée, sa beauté naturelle bien mise en valeur, ceci n’empêchant pas l’actrice de se révéler fort convaincante dans ce rôle tout en contrastes. Etrange, audacieux dans le fond et dans la forme, TOUTES LES COULEURS DU VICE parvient avec grâce à agréger impératif commercial et volonté expérimentale ; on retrouvera cet esprit « bicéphale » dans le giallo suivant du réalisateur, au titre remarquable : TON VICE EST UNE PIECE CLOSE DONT MOI SEUL AI LA CLEF (1972).


Acheter chez Metaluna, c'est soutenir Sueurs Froides - Merci !


Votre soif de lecture n'est pas rassasiée ?
Téléchargez les anciens numéros de Sueurs Froides


Inscrivez-vous à la liste de diffusion et accédez au
téléchargement des anciens numéros de Sueurs Froides :
- Une tranche d'histoire du fanzinat français
- 36 numéros de 1994 à 2010
- Près de 1800 films critiqués
Un index est disponible pour chercher un film ou un dossier
CLIQUEZ ICI.

- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe


=> Pour prolonger votre lecture, nous vous proposons ce lien.
Share via
Copy link