Un texte signé Paul Siry

DossierOffscreen 2019review

Under the skin

Sous l’apparence d’une jeune femme, une mystérieuse créature d’origine extraterrestre arrive sur Terre, plus précisément en Écosse. Elle séduit des hommes afin de les faire disparaître pour une raison inconnue.

Habillée d’un manteau de fourrure qu’elle a elle-même choisie en boutique, celle-ci arpente les rues de quartiers populaires au volant d’une camionnette blanche. Tout d’abord, de part son habit, elle se met, involontairement, en marge des codes sociaux, car elle ne les connait pas. De sa vitre, comme de notre place de spectateurs, on observe avec elle des gens dans le plus banal des quotidiens. Puis elle aborde, un par un, des hommes qui, attirés, se laissent conduire jusqu’à une maison où elle se déshabille. Chaque individu la suit et est avalé par une matière noire d’où ils ne sortiront jamais.

La créature suit ses victimes et évènements sans aucun état d’âme, -laissant même un bébé à l’abandon sur une plage écossaise déserte-, et étant totalement indifférente au mal-être de certaines personnes, elle observe et examine le monde qui l’entoure. Aidée par un extraterrestre en moto qui règle derrière elle les problèmes rencontrés et s’assure qu’elle n’acquiert aucune émotion, la créature se laissera tout de même submergée par des sentiments naissants et abandonnera sa mission pour partir plus loin dans la campagne découvrir différentes sensations.

La musique composée par Mica Levi accompagne l’évolution du personnage. Tels des membres en gestation, les violons se font stridents dès la création de cette créature : le morceau est chaotique comme un corps naissant désordonné n’ayant pas atteint sa forme finale. Puis, un nouveau thème revient pour chaque proie : le violon est cette fois-ci posé et la musique, rythmée de bruits secs, est autant sensuelle qu’inquiétante. Et dès que la créature s’épanouit, les violons se font plus mélodieux.

Le film est passionnant pour sa vision détachée et brute de notre civilisation, qui est traitée concrètement. Effectivement, la plupart des scènes de rues et vues de la camionnette ont été filmées en caméras cachées. Dans 2001, L’ODYSSÉE DE L’ESPACE, nous allions explorer pour découvrir le monde au-delà de l’infini. Dans UNDER THE SKIN, le cas est inversé, comme si les habitants de l’espace de Kubrick venaient sur Terre tourner un documentaire sur nos relations sociales. La camionnette serait leur vaisseau, armée de caméras de l’équipe du film. Le résultat est un regard noir sur l’humain : on observe les agissements et réactions d’individus quelconques filmés sans le savoir. Ceux-ci paraissent seuls, acceptant sans hésiter les propositions de la créature. Celle-ci sera aussi entraînée par une bande de filles fêtardes dans une boîte de nuit, où elle se fera abordée avec empressement par un homme.

Le film apporte également une vision primaire et dangereuse de la séduction, démontrant la facilité des proies à se faire piéger. Les hommes sont abordés directement et acceptent en seulement quelques phrases, voire quelques secondes, les avances de la créature (sans savoir qu’ils étaient filmés, rappelons-le). L’aspect reportage est particulièrement effrayant tant le film nous met face à nos propres faiblesses et réussit à rendre notre propre quotidien étranger au travers le regard de la créature, impassible et dénué de toute empathie.

En 2019, UNDER THE SKIN aura été reprogrammé dans le cadre du festival Offscreen.

Scarlett Johansson joue cette créature habillée de fourrure au milieu d’inconnus issus de milieu moyen. On peut voir dans ce casting une vision de la star ici en terrain étranger, en décalage social. L’origine exacte des extraterrestres du film ne nous sera jamais donnée. Leur univers, à la fois cosmique et organique, est représenté par deux grands espaces vides et abstraits, l’un blanc et l’autre noir. C’est dans ce dernier que se font les disparitions des proies dont ne sont gardées que les peaux, masques dont se vêtissent les extraterrestres. Les hommes piégés sont considérés comme du bétail dont le corps est le seul intérêt. À l’opposé de cet univers abstrait, les rues et les landes écossaises rendent les humains minuscules et impuissants, écrasés au milieu des constructions de briques et de la nature. L’environnement est montré très froidement, renforçant le sentiment de malaise et le mal-être.

Un très bon documentaire animalier sur l’espèce humaine.


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- Article rédigé par : Paul Siry

- Ses films préférés : Requiem pour un massacre, Mad Max, Ténèbres, Chiens de paille, L'ange de la vengeance

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