Un texte signé Alexandre Lecouffe

France Belgique R.U. - 2008 - Fabrice du Welz
Interprètes : Emmanuelle Béart, Rufus Sewell, Julie Dreyfus

review

Vinyan

CALVAIRE (2005), le premier long métrage du réalisateur belge Fabrice du Welz parvenait, contre toute attente, à transformer une trame de « survival » à l’humour très noir en drame existentiel. Ouvertement influencé par MASSACRE A LA TRONCONNEUSE (de Tobe Hooper, 1974), ce premier essai radical et dérangeant laissait éclater des thèmes à priori inattendus tel que l’aveuglement amoureux, la foi inébranlable, la compassion et le sacrifice. Tour à tour naturaliste et fantastique, grinçant et pathétique, brutal et allégorique, CALVAIRE avait tout de l’œuvre semi-confidentielle pour cinéphiles « déviants » ! C’est dire si le second projet du réalisateur semblait se situer aux antipodes du premier : tourné en anglais, filmé en Thaïlande, VINYAN bénéficie de la présence d’une star française (Emmanuelle Béart) et d’une intrigue ressemblant à celle d’un drame familial et psychologique. S’il cherche clairement à élargir son public, Fabrice du Welz reste néanmoins fidèle aux thèmes qu’il a déjà abordés dans CALVAIRE et filme à nouveau des êtres qu’un deuil impossible pousse vers la folie.
Jeanne et Paul Bellmer, un couple franco-américain, ont perdu leur fils dans le tsunami qui a ravagé le Sud-Est Asiatique. Nous sommes six mois après le drame, tous deux sont restés vivre en Thaïlande pour participer à l’effort de reconstruction du pays. Certaine d’avoir reconnu son fils (dont on n’a pas retrouvé le corps) sur une vidéo, Jeanne se persuade que ce dernier a été enlevé et revendu ; très sceptique, Paul accepte par amour de suivre son épouse dans sa quête. Ils embarquent alors pour la jungle birmane où, selon un étrange informateur, se trouveraient des villages susceptibles de séquestrer des enfants européens.
Une longue séquence sous-marine nous plonge dès la fin du générique à l’intérieur d’une scène de noyade où on distingue une chevelure, des hurlements sourds, un souffle strident puis des bulles de sang. Très stylisée, portée par une bande sonore assourdissante, cette ouverture qui privilégie l’impact sensoriel est bien à l’image d’un film qui cherche à impliquer physiquement le spectateur dans ce qui se révèlera être un long voyage intérieur. Celui-ci débutera après des scènes d’introduction situées dans les rues, les bars de Phuket et filmées par un objectif épousant la frénésie de la ville et du personnage féminin à la recherche d’informations sur la disparition de son fils. Accélérations, soubresauts, tournoiements, la caméra fait corps avec l’état d’esprit des personnages noyés dans un chaos sonore. Cette volonté de happer le spectateur dans un tourbillon visuel et auditif n’est pas sans rappeler les expérimentations de Gaspard Noé pour IRREVERSIBLE (2002) qui a également en commun avec VINYAN d’être éclairé par le même chef-opérateur, Benoît Debie, spécialiste du travail sur les basses lumières et les ambiances crépusculaires. Mais lorsqu’il quitte l’univers urbain pour celui de la jungle birmane le film adopte une toute autre ambiance : lumières à la lisière du fantastique, tonalité onirique, rythme lent, dépressif, funèbre, qui plongent les deux protagonistes et le spectateur dans une sorte de torpeur somnambulique. Escortés par deux passeurs thaïlandais aux intentions peu claires, Jeanne et Paul sont confrontés à l’Inconnu et à la perte de tous leurs repères : dans cet environnement « animiste » (la Nature semble vivante et peuplée de « vinyan », c’est-à-dire d’âmes errantes), le couple finira par se perdre corps et âmes. Très clairement métaphorique (la jungle est un Purgatoire représentant l’univers mental des deux personnages et leur périple, le naufrage de leur couple), le film cède un peu trop à ce niveau de lecture symbolique, abandonnant un récit qui s’avérait inquiétant (la présence d’enfants menaçants) ou fantastique (ces enfants existent-ils ?). Ce défaut, qui peut amener le spectateur à se détacher par instants de ce voyage intérieur, est contrebalancé par le talent formel du réalisateur (le plan séquence avec câblages où le couple passe « de l’autre côté du miroir » est à tomber…) et l’interprétation habitée des deux acteurs principaux. Emmanuelle Béart, entre extase et folie, irradie l’écran et Rufus Sewell (DARK CITY de Alex Proyas, 1998) est bouleversant en homme blessé et amoureux fou. Véritable proposition de cinéma (le vrai, celui qui met l’image au cœur du récit) VINYAN cite plusieurs influences imposantes (NE VOUS RETOURNEZ PAS de Nicolas Roeg, 1974 ; LES REVOLTES DE L’AN 2000 de Narciso Serrador, 1977 ; LA FORET D’EMERAUDE de John Boorman, 1985…) mais parvient à affirmer son statut d’œuvre personnelle et profonde. Difficile d’accès par son traitement formel assez expérimental, son refus du pathos et de la facilité narrative, VINYAN démontre que son réalisateur possède ce qu’il y a de plus important peut être : une vision.


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- Article rédigé par : Alexandre Lecouffe

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