Un texte signé Joe Blood Benson

indie-eyeZombi Killer

Zombi Killer – la genèse

Durant toute l’année 2018, Sin’Art fête les 25 ans de Zombi Killer, réalisé en 1993 par Joe Blood Benson et réédité en DVD en 2016.

3e cadeau : la genèse de Zombi Killer racontée par le réalisateur et issue du booklet de l’édition DVD de Sin’Art.

I – Genèse du film :

L’idée de réaliser un film fantastique m’est venue très tôt je crois, de manière inconsciente. Mais comme toute idée, elle est avant tout le fruit d’un long apprentissage que l’on pourrait appeler : processus d’intégration. Il s’agit d’un voyage en profondeur, au sein d’un univers et de ses codes. Dans l’enfance, en plus de mes très nombreuses lectures de contes fantastiques et populaires, je créais déjà des décors et mettais en scène des personnages aux allures prométhéennes, au travers d’ histoires « pour faire peur ». Ces créatures et héros, tous dotés d’une forte personnalité mais aux attributs souvent repoussants, erraient à la surface de la terre, incompris, solitaires et souffrants ! Telle était déjà sans doute la manière dont j’entrevoyais confusément la nature de l’existence. De là sans doute est née ma passion pour l’un des personnages particuliers du bestiaire fantastique : le Zombie. Mes personnages d’alors vivaient des aventures terrifiantes ou merveilleuses, dans des univers parallèles, des mondes mystérieux. J’étais aussi très doué pour fabriquer des accessoires, des décors et des costumes que j’endossais et qui me permettaient pendant quelques heures de revêtir l’identité de ces héros issus de la culture populaire ou de mon imagination. J’avais ainsi la possibilité de pénétrer dans leur univers. A la puberté et lors de mon entrée au collège, l’intensité et l’importance de ces jeux diminuèrent. Cependant, je continuais à fuir pendant des heures les cours que je jugeais rébarbatifs dans mes cahiers où je créais à loisir, au travers de dessins et de synopsis, des univers tourmentés ou cauchemardesques qui traduisaient alors mon nihilisme naissant. Car avec l’arrivée de l’adolescence, j’éprouvais une difficulté croissante à communiquer et à aller vers les autres. La peur soudain se mit à déferler dans ma vie, mon environnement devint menaçant et le contenu de mes rêveries d’enfant sombrait dans le pathos. Ces échappées en solitaire, quoique problématiques pour mon entourage, devinrent une nécessite impérieuse, car elles étaient une soupape me permettant de supporter la banalité et la violence du quotidien dans ce petit village de Bretagne hostile et froid où ma famille avait élu domicile. De cette période et de ces expériences naquit mon obsession pour le macabre et pour l’horreur !

C’est à cette époque que je découvris la presse spécialisée, des vieux Midi-Minuit aux images passées, quelques obscurs fanzines bis traînant dans la chambre du frère d’un copain et bientôt Starfix et Mad Movies, les deux piliers de mon adolescence. Ah ! Starfix et sa fameuse « Zone Z » du dénommé Dan Brady, dont je croyais que c’était le vrai nom jusqu’à ce que je découvre la pratique du pseudonyme et que je me rende quelques années plus tard dans le dédale poisseux du fameux cinéma parisien « Le Brady »… (j’ai encore en mémoire la célèbre et nasillarde voix du gérant de cet illustrissime endroit, crachouillant un : « cette semaine le cinéma Le Brady vous propose…» qui me donnait alors des frissons de plaisir pervers !!!) Bref, que d’heures passées en interminables mais ô combien palpitantes lectures. Celles-ci vont laisser en moi une profonde fascination ainsi qu’une indélébile empreinte. Cette dernière participera bien sûr à mon désir de création et de réalisation d’un projet personnel qui débouchera un peu plus tard sur « Zombi killer ». Hélas, pour l’heure et comme beaucoup de provinciaux, il m’est impossible de visionner les chefs-d’oeuvre commentés avec force détails, photos à l’appui, dans la fine fleur de la presse spécialisée de l’époque. De dépit je ronge mon frein et continue à rêver, ne désespérant pas qu’un jour…
Comme tout finit toujours par arriver quand on le désire vraiment, trois événements majeurs vont alors se produire et bouleverser la donne de mon univers d’adolescent timide et tourmenté. Le premier sera l’ouverture d’un vidéoclub à quelques kilomètres du lieu où je réside et dans lequel je vais pouvoir me rendre clandestinement les mercredis après-midi pour visionner, entre autres, des chefs-d’oeuvre tels que Evil Dead 1.
Le deuxième événement important, c’est le changement de gérant au cinéma du village voisin. En effet, celui-ci est remplacé et le nouveau, qui est un « jeune », est aussi un passionné de série B et de fantastique ! Nous allons donc avoir enfin droit aux Exorciste, Massacre à la Tronçonneuse, Nuit des Morts-Vivants, Zombi, et autres Enfer des Zombis que j’attendais tant ! Quelle délectation, j’exulte de pouvoir enfin et en trichant un peu (car je suis grand pour mon âge) contourner la sévère interdiction aux moins de 16 ans et découvrir sur grand écran les pépites fantasmées du ciné bis transalpin et du cinéma indépendant de l’époque !
Pour finir, dernier événement marquant : la création en 1984 de la chaîne Canal+ et la diffusion des oeuvres de Fulci, Bava, Argento, Romero sur le petit écran qui consolideront définitivement ma passion alors naissante pour le cinéma de quartier. Nous sommes en 1990, nanti de ce très « sérieux » bagage cinématographique, je monte sur la capitale avec le rêve secret de réussir dans le cinéma ! Hélas, je ne trouve que des boulots alimentaires sans intérêts, et ce n’est qu’en 1992 avec la rencontre de Norbert Moutier alias NG. Mount et ma participation à son « Predator » à lui : Alien Platoon, que ma passion alors fléchissante connaît à nouveau une flambée d’exaltation. C’est décidé ! Puisque j’ai enfin vu de l’intérieur la réalisation d’un film, fusse-t-il amateur et fauché comme les blés, je vais moi aussi tourner un « Z » comme les grands !! Je décide alors par le biais de L’ANPE de faire une formation de technicien audio-vidéo (puisqu’à l’époque je suis chômeur et sans autre projet). Après un an passé à manier des caméras, soulever des gamelles et monter des rails de travelling ou encore à traîner des heures et des heures en salle de montage, essayant de créer des courts absurdes en collant bout à bout des chutes de K7 vidéos périmées sur un vieux banc Umatic, je prends le taureau par les cornes et décide de m’atteler à la réalisation d’un projet personnel. J’investis alors quelques milliers de francs dans un camescope Hi-8 et un banc de montage rudimentaire et me lance vaille que vaille, dans l’aventure…

II – Réalisation :

A cette époque donc, je déborde d’enthousiasme et de bonne volonté mais je n’ai encore aucune méthode de travail ! Les questions fusent : où trouver des fonds…? Des acteurs…? Comment écrire un scénario ? Qui va dessiner une affiche, un storyboard, etc ? Que de questions dont l’absence de réponses occasionne moult nuits blanches. C’est dans le chaos et la confusion, mais armé d’une solide détermination, que j’entreprends la réalisation de ZK avec comme préalable une seule envie… Celle de crier le fameux, terrible et jouissif : Moteur – Action – Coupez !
Je m’entoure alors d’une petite équipe constituée d’amis, de proches et de passionnés. En effet, sur les tournages de NG. Mount, j’ai appris à côtoyer une petite bande de créatifs (maquilleurs et techniciens en herbe, comédiens amateurs, etc) qui vont rejoindre le projet avec enthousiasme et m’encourager à sa réalisation. Nous nous embarquons donc pour onze mois de tournage à l’arrache, sans autorisation d’aucune sorte ; ce qui, bien entendu, nous vaudra quelques déboires heureusement sans conséquences. Le tournage se fait au petit bonheur la chance. Au gré des repérages souvent menés de nuit et au hasard, nous découvrons ainsi des lieux qui suscitent notre imagination. Le planning lui, est aléatoire, le scénario et les dialogues s’écrivent souvent la veille pour le lendemain, et comme je suis le seul intervenant technique sur le « plateau » à l’exception d’Antoine Cervero au Sfx, je me surprends parfois à improviser sans réel fil conducteur et au gré de mes humeurs sans autre leitmotiv que : « just do it !! » juste fais-le !
Les moments de tournage sont parfois intenses, tendus et difficiles ! Certains jours, lorsque les conditions le permettent, il nous arrive de passer jusqu’à douze heures dans la boue et le froid d’un terrain vague envahi par les mauvaises herbes, sans autre carburant que des sandwiches amoureusement préparés par ma compagne et quelques hectolitres de kronenbourg !!!
D’autre fois, lorsque le temps est clément et l’humeur au beau fixe, le tournage devient une immense partie de rigolade, une cour de recréation. On est adulte soit ! Mais on a le luxe inestimable de pouvoir soudain changer de peau, jouer à cache-cache, aux cow-boys et aux indiens, sans honte… Moments bénis qui nous rappellent les joies de notre enfance (peut-être qu’après tout le cinéma n’est pas autre chose qu’une survivance sophistiquée et adulte de ces « jeux d’enfants »).
Le tournage prend fin au mois de juin 1994. Je me retrouve avec une vingtaine d’heures de rushes et ne sais pas encore que le cauchemar a déjà commencé !!!
Pourquoi le cauchemar ? Parce qu’inexpérimenté et inconscient que je suis alors, j’ai omis durant ces mois de tournage, par légèreté, étourderie… de construire un tant soit peu le film. N’ayant ni script ni storyboard et n’ayant jamais su clairement si je voulais faire un moyen ou un long métrage, je me retrouve au moment du derushage avec une suite de rushes bancale, incohérente, un gigantesque puzzle que je me dois d’assembler pièce par pièce dans le noir et sans mode d’emploi !! Difficile dans ces conditions de négocier sur un pied d’égalité avec l’étape du montage, étape que je vais quand même tenter d’aborder en gardant la tête froide ! Hélas, rien n’y fait et au bout de deux ans d’acharnement, hors de moi et désorienté (à peine dix-huit minutes de film montées et déjà quatre versions différentes) je décroche ! Je jette l’éponge (provisoirement). Le film ira attendre au fond d’un tiroir que je veuille bien me pencher de nouveau sur son cas…
Nous sommes fin 1996, que devient le film ? Question redondante et inévitable à laquelle je ne peux me dérober. Mieux disposé à son égard, je décide de reconsidérer mon travail. Je ressors le carton de K7 Hi-8 qui prenait la poussière dans un coin et réinstalle le banc de montage. Je fais défiler les rushes et ô miracle ! Un début de quelque chose se met en place. Rasséréné, je reprends patiemment le montage, jour après jour. En un peu moins d’un an, le film est terminé ! Avec appréhension, je le montre à des amis. Certains ne comprennent rien à ce qu’ils voient, mais tous sont scotchés par l’ambiance vénéneuse et la force du montage ! Miracle… Ça marche.
Très vite, j’envoie du matériel promo à Mad Movies qui se fendra d’un encart dans ses « Notules » et à quelques fanzines. Le film commence à faire gentiment parler de lui, le magazine 20 ans fait un papier sur les « nouveaux Ed Wood » auquel je participe avec Antoine Cervero et RJ. Thompson. Deux événements vont alors se produirent simultanément en quelques mois et décider du sort du film. Tout d’abord, j’organise une projection privée dans un bar à thème situé dans le douzième arrondissement de Paris, le Comte Dracula ! Cadre idéal s’il en est pour ce genre d’exhibition… L’opération remporte un franc succès, la projection a lieu sur grand écran devant 80 personnes (dont beaucoup d’amateurs du genre) et une standing ovation m’accueille moi et mon horrible bébé !
L’autre événement important est ma rencontre et la correspondance assidue qui s’ensuit bientôt avec l’équipe dévouée et bénévole de Sin’Art qui se propose alors de distribuer le film en VHS. L’opération duplication est lancée de manière très artisanale, un pote sympa crée la jaquette vidéo et c’est à l’aide d’un magnétoscope Hi-8 Pro et de cinq magnétoscopes VHS de salon que j’entame la délicate duplication du Master. Cent copies sont tirées, elles seront définitivement épuisées en novembre 2005. C’est alors qu’avec André, de Sin’Art, naît l’idée d’une édition du film en DVD puisque les VHS sont sold-out et que le film n’est plus disponible.

III – Bilan :

A l’heure où j’écris ces lignes, quel bilan puis-je bien tirer de cette aventure, quelle heureuse conclusion puis-je décemment me permettre ? Au moment où l’édition DVD de Zombi Killer est imminente grâce aux passionnés de Sin’Art ? Quand je repense, quatorze ans après le début de cette rocambolesque histoire, à la tournure que prirent les événements, avant, pendant et après ce tournage épique (eh oui quatorze ans !!) je ne peux m’empêcher de m’interroger sur la motivation profonde qui fit qu’en dépit de mon inexpérience, du fait que j’étais alors fauché et anonyme parmi les anonymes, en dépit enfin de la peur de l’échec, je me sois lancé, nonobstant la peur de paraître ridicule, déplacé, loufoque et surtout prétentieux, dans cette entreprise fantasque. Je vais avoir quarante ans cette année, j’en avais alors vingt-cinq et avec la maturité acquise (non sans souffrance) au fil des années, je peux me permettre d’avoir à la fois un regard critique et indulgent, dur et attendri à l’égard de ce jeune « fou » rêveur que j’étais à l’époque et que je suis quelque part resté. Je réalise à présent que c’est d’abord et avant tout un élan irrépressible à l’origine de tout cela, le désir ardent de concrétiser un rêve, un rêve en rapport étroit avec ma passion de toujours, une passion d’enfant… Une passion jamais démentie. Je réalise que seul le désir de me lancer un défi et de le relever, le désir enfin de me surpasser avec comme seul carburant, le courage et une foi sans borne pour un genre aujourd’hui moribond, le cinéma bis, a pu me permettre de venir à bout de tous les obstacles.
Alors que j’écris ces lignes, je ne peux qu’avoir une pensée émue et un sentiment de reconnaissance pour le plus illustre des réalisateurs inconnus, tombé dans l’oubli et ressuscité par le génie combiné de T. Burton et J. Depp, le génial et tant décrié Edward Wood Jr. Voilà un être qui était animé d’une foi inébranlable et qui, contre vents et marées, en dépit de tous, armé seulement de bouts de peloches et d’ustensiles en carton-pâte, aidé d’acteurs sur le retour et de techniciens alcooliques, nous a fait vibrer, rêver, délirer, rire aux éclats. Alors pour conclure ce bilan en forme d’hommage à tous ces obscurs tacherons de la « Zone Z » si chère à Dan Brady et aux « Notules Lunaires » de notre San Helving national, je dirais à tous les Ed Wood de l’univers, passés, présents et à venir : Courage à vous, nobles chevaliers de la pellicule perdue ! Allez ! Foncez et tenez bon. Surtout, ne vous découragez pas ! Ne vous laissez pas envahir par le doute et la peur, actionnez tant que vous pouvez les rouages de vos machines dans les antres obscures de vos cavernes de papier, couchez sur la pellicule les cauchemars fiévreux de vos nuits d’insomnies, les délires douteux des sombres cogitations de l’enfant que vous êtes resté… Certains vous loueront, d’autres vous fustigeront, c’est ainsi !… L’une des grandes leçons de la vie, c’est qu’on ne peut pas plaire à tout monde ! Alors réalisez encore et encore, mettez en scène tous vos rêves, même les plus sombres, les plus torturés, même les plus inavouables !!! Certains êtres sont, chance ou malchance, dotés d’une maîtresse exigeante et terrible qui réclame impitoyablement son dû sur l’autel de la réalité. Elle se nomme Obsession et ne vous laissera tranquille que lorsque vous aurez satisfait à toutes ses demandes. Alors libérez-vous de tout ce qui vous obsède et vous tourmente… Tournez que diable ! Il en restera bien quelque chose… Que la force soit avec vous !!!

Joe Blood Benson.

NB : Vous pouvez acquérir ici l’édition collector de Zombi Killer comprenant :
Le DVD du film
5 marques-pages
L’affiche au format A3
Un jeu de 6 photos
Un livret de 24 pages


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- Article rédigé par : Joe Blood Benson

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