Un texte signé Philippe Delvaux

Japon - 2009 - Hirokazu Kore-Eda
Titres alternatifs : Kûki ningyô
Interprètes : Du-na Bae, Arata, Itsuji Itao

asian-scansOffscreen 2010

Air Doll

Nozomi est une fille docile : elle se laisse baiser par son compagnon qu’elle écoute sans piper mot. Normal, Nozomi est une poupée gonflable que son propriétaire considère comme un être vivant et comme sa véritable compagne. D’ailleurs, un jour, Nozomi prend conscience d’elle-même. Elle se garde bien de se manifester à « son homme » et lorsque celui-ci part travailler, elle s’en va à la découverte de la vie, de sa vie.
AIR DOLL a été présenté en avant-première belge en ouverture du festival Offscreen en mars 2010.
La France a découvert depuis longtemps déjà le travail de Hirokazu Kore-Eda. Sont ainsi sortis en salle en 1999 MABOROSI et AFTER LIFE tandis que la sélection cannoise de DISTANCE aidait en 2001 le réalisateur à conforter sa position aux yeux du public. En 2004, la palme d’interprétation reçue par l’acteur de NOBODY KNOWS achève de placer le cinéma de Kore-Eda dans la cour des grands. AIR DOLL a également été présenté à Cannes en 2009.
L’argument fantastique de ce dernier métrage nous donne l’occasion de traiter du cinéaste dans les colonnes de Sueurs Froides. A priori, les pérégrinations d’une poupée gonflable pourraient laisser augurer d’une bizarrerie déviante comme le cinéma nippon en est coutumier depuis longtemps. Mais il n’en est rien. Nous sommes bien face à un cinéma d’auteur, mais livré ici dans ce que ce concept a de plus noble. Et Kore-Eda, sans pourtant jamais éviter la fonction sexuelle de Nozomi, ne sombre à aucun moment dans le graveleux ou la nudité gratuite. Sa poupée gonflable est une magnifique allégorie traitée avec toute la délicatesse due à la portée philosophique de son sujet.
AIR DOLL part d’un phénomène assez typiquement japonais et qui voit certains hommes préférer une poupée inanimée à une relation véritable avec un être de chair, de sang, de conscience et de caractère. Ils transfèrent vers cette docile relation l’affectif qu’ils ne savent plus trouver ou donner dans la vie réelle. Mais ce point de départ est vite délaissé par Kore-Eda pour qui le véritable personnage est Nozomi. C’est d’elle que va nous entretenir Kore-Eda.
Cinématographiquement, c’est un pur bijou, un concentré d’émotions au service d’un vrai sujet traité sous un angle poétique avec une rare maitrise. AIR DOLL nous parle de la vie et du sentiment de vide qui nous habite parfois, et arrive à traiter ce thème a priori peu cinématographique avec une réelle légèreté et un humour de chaque instant.
Tout est réussi dans AIR DOLL, de l’interprétation de l’actrice Du-Nu Bae (vue dans THE HOST), qui parvient à rendre crédible sa poupée gonflable vivante, au scénario parfait du réalisateur (dérivé du manga de Yoshiie Goda) en passant par la mise en scène et un montage tout en subtilités. Nous ne le déflorerons pas ici, mais le final est particulièrement brillant en synthétisant par le bais de plusieurs figures stylistiques l’ensemble du thème (pour ceux qui iront le voir, repensez à ce qu’on nous dit via la poupée de la fillette, la bague, le pissenlit, la dissémination au vent des spores…).
Et les amateurs de sountracks se délecteront des compositions signées par les peu connus « World’s end Girlfriend », qu’on pourrait rapprocher des travaux pour le cinéma de Yann Tiersen.
L’allégorie au cœur du film est particulièrement judicieuse : la poupée gonflable comme « incarnation » de la vie et du questionnement face au vide de celle-ci, à son sens. La poupée est un gadget sexuel – et si le sexe est source de vie, le gadget en est, lui, une désincarnation qui ne peut pas mener à une naissance, à une nouvelle vie. La poupée est gonflée d’air, donc de vide. Elle aspire à se remplir, à « être ». En même temps, l’air n’est pas que vide, il est aussi souffle, souffle de vie comme le montrera une superbe séquence où un jeune et beau vendeur de dvd devra regonfler une Nozomi déchirée… un baiser de vie. On pourrait décortiquer le film encore et encore, l’analyser au regard du cinéma d’animation (l’allégorie régulière à ce dernier genre du pantin qui s’anime), relever les nombreuses citations cinéphiles très astucieusement réappropriées (LE DICTATEUR de Chaplin, L’EMPIRE DES SENS d’Oshima…) mais ceci au risque de lasser le lecteur. En poésie, mieux vaut ressentir ou s’émerveiller qu’analyser.
AIR DOLL est un film à conseiller de toute urgence aux amateurs d’un cinéma qui nous parle vraiment. Ne soyez pas timide, osez la poupée gonflable, ce sera peut-être votre meilleure expérience de l’année !


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare


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