Un texte signé Philippe Delvaux

indie-eyeL'Etrange Festival 2016

Etre cheval

Documentaire sur une session de Pony Play, ce fétichisme du dressage consensuel entre un aspirant-cheval et son dresseur. On suivra ainsi quelques semaines durant le parcours de Karen, transgenre français, dans les écuries d’Alex, un texan affublé d’une jolie paire de moustaches pendantes. Un voyage physique et émotionnel qui verra Karen s’abandonner tout en gardant une lucidité certaine et un regard décomplexé et acéré sur ses pratiques.
Intense est l’expérience d’ÊTRE CHEVAL, présenté en première française sur grand écran à l’Etrange festival 2016. On précise « sur grand écran » car ce documentaire a précédemment connu les honneurs d’une diffusion de fin de soirée, fin 2015, sur France 4.

Le réalisateur n’ayant conservé pour ce format qu’une petite partie des 300 heures de rushes, un second métrage basé sur ces derniers est en préparation, et sera destiné, lui, à l’exploitation en salle. Aux dires de son réalisateur, cette variation pour grand écran devrait montrer des séquences plus explicites, lesquelles n’ont pas été retenue pour la version télévisée présentée à l’Etrange festival et dont nous parlons ici.

Et ce n’est nullement une déception. ÊTRE CHEVAL se révèle bien plus un voyage intime, au plus près de l’émotion vécue par son principal protagoniste que le fatras voyeuriste auquel se prêtait pourtant particulièrement bien le sujet.

Les documentaires abordant la sexualité dans ses volets les plus alternatifs sont aussi pléthoriques que le plus souvent décevant. Le sujet fascine toujours mais combien d’entre eux réussissent vraiment à dépasser l’ostentatoire ? Certains cherchent pourtant une approche différente. On avait par exemple découvert l’année dernière en festival (ou sur ARTE) DANS LA CAVE (Ulrich Seidl) lequel abordait, entre autres, des pratiques sm. Mais la tonalité était là plus clairement critique et provocatrice. La France avait pour sa part, dès les années ’70, livré d’intéressants documentaires sociologiques avec la série EXHIBITION, dont le premier volet connut à l’époque un succès en salle qu’on imagine difficilement de nos jours et dont le second abordait de manière très directe une relation SM… avec laquelle l’équipe du film eu parfois du mal à composer. Mais le documentaire qui nous semble le plus nous approcher d’ÊTRE CHEVAL reste le ZOO de Robinson Devor, découvert en 2008 à Offscreen (et chroniqué sur Sueurs Froides dans le dossier Offscreen 2008), et qui abordait de manière très pudique le monde de la zoophilie en donnant la parole, sans censure et avec une réelle volonté de comprendre et d’écouter, à ceux qui s’y adonnent. A dire vrai, Offscreen 2008 présenta aussi un autre documentaire frapadingue sur Bob Flanagan, qui combattit la mucoviscidose … par des pratiques SM extrêmes. Lisez-en la chronique sur Sueurs Froides, on vous y conseille vivement ce SICK : THE LIFE AND DEATH OF BOB FLANAGAN, SUPERMASOCHIST.

C’est cette même démarche qui fonde ÊTRE CHEVAL : ne pas nous livrer en pâture (ce serait un comble pour un cheval) la sexualité d’un homme. Nous donner non pas à juste voir, mais bien plutôt à comprendre Karen, en fonction de ce qu’il/elle nous livre.
Et, même dans ce format court d’une heure, les moments forts abondent, comme cette conversation skype entre Karen et sa fille ou sa rencontre avec « Starfighter », une autre Pony girl, transsexuel en devenir F to M.

C’est d’ailleurs aussi ce point qui fascine : qu’à un fétichisme de niche somme toute assez réduite s’ajoute la question du genre. Karen ne définit même plus son identité que de manière floue sur un mode de rébellion punk – et parfaitement assumé –. « Starfighter », la seconde pony girl, est quant à elle en voie de masculinisation : une allure de camionneuse, des poils sous les bras, mais toujours des seins, un sexe… et une voix de femme (invité à la présentation publique de l’Etrange, elle-il avait depuis franchi au moins un autre pallier physique, arborant une jolie barbe). On se pose la question dès lors s’il n’y a pas pour les pony une recherche de la dissolution de la problématique du genre dans ce fétichisme non seulement asexuel – le jeu n’implique pas d’actes sexuels – mais même asexué : le pony n’est certes ni homme, ni femme, mais il n’est pas vraiment plus mâle ou femelle, même si ces caractéristiques peuvent affleurer, par exemple dans sa parure. Le pony est purement animal. Une hypothèse appuyée par le témoignage des protagonistes lors du débat qui succéda à la projection de l’Etrange festival où elle-il expliquait avoir fréquenté un temps une petite communauté « tranimale » (trannie + animal).

Le pony play est l’incarnation d’un fantasme. Une mise en pratique confinée à une niche réduite – on le répète, ce fantasme ne concernera que peu de monde… et il implique aussi du matériel, une disponibilité, un partenaire… – mais qu’on voit s’exprimer sur nombre de blogs virtuels : il n’est que de voir la quantité invraisemblable de tumblr consacrés, notamment dans le hentaï, aux amours interraciaux (et par ce terme, on parle bien ici de la rencontre homme-animal) ou aux hybrides du type centaures et autres renardes pour reconnaitre l’extraordinaire fertilité de l’esprit humain dès lors qu’il s’agit d’explorer sa sexualité. Toujours lors du débat tenu à l’Etrange festival, Karen appuyait la dimension mythique de sa vision de cette pratique.

A cela près que Karen et « Starfighter » ont, eux, décidé d’incarner leur fantasme. En l’assumant. C’est aussi la force du documentaire que de nous montrer toute l’exigence de ce – quasi – sacerdoce : elle est certes physique – et la fin du film nous montre, chose rare dans ce type d’exercice, les limites lors de la confrontation du fantasme à la réalité et aux capacités des players -, mais elle est aussi et peut-être surtout psychologique : comme l’avoue Karen, chaque session emporte un peu de son équilibre et le retour à la terre ferme et au monde réel se vit parfois comme une petite mort, et on ne parle pas ici de celle de la jouissance. ÊTRE CHEVAL, ce n’est pas toujours hennir de plaisir.

Et comme à Sueurs Froides, on aime vous livrez le picotin, on va cette fois vous remplacer la bande annonce… par le film complet : ÊTRE CHEVAL est disponible en vision gratuite, du moins en 2016, sur le site de VICE. Allez, au galop !


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- Article rédigé par : Philippe Delvaux

- Ses films préférés : Marquis, C’est Arrivé Près De Chez Vous, Princesse Mononoke, Sacré Graal, Conan le Barbare

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