Un texte signé Sophie Schweitzer

USA - 1931 - James Whale
Titres alternatifs : The Kiss Before the Mirror
Interprètes : Nancy Carroll, Frank Morgan, Gloria Stuart

retrospective

Le baiser devant le miroir (1933) – proto-thriller

Avec LE BAISER DEVANT LE MIROIR, James Whale réputé pour ses films d’horreur signe à nouveau avec Universal, cette fois-ci pour livrer un drame psychologique aux accents de thriller avant l’heure.

Lucy rejoint son amant sans se douter que son époux, jaloux, l’a suivie. Attendant qu’elle soit seule devant son miroir, il l’assassine froidement de trois coups de revolver avant d’appeler la police et d’avouer son meurtre. Dès lors, son meilleur ami, avocat de grand renom, s’échine à trouver comment l’innocenter en dépit des aveux et des preuves évidentes du crime. Afin de mieux le défendre, il questionne longuement l’accusé et ce faisant, les doutes commencent à émerger sur sa propre épouse. Le soir même, lorsqu’il la retrouve, il observe le moindre de ses gestes, rongé par les suspicions.

le baiser devant le miroir 1933 proto thriller 1
le baiser devant le miroir 1933 proto thriller

LE BAISER DEVANT LE MIROIR est un film des studios Universal réalisé par James Whale. L’élégant réalisateur de FRANKENSTEIN réutilise pour ce film noir les mêmes tics de mise en scène : les décors bourgeois raffinés où évoluent des personnages bien mis, toujours distingués cachant pourtant des desseins bien sombres. Sa caméra parcourt les décors, les traverse, comme pour s’émanciper des décors trop rigides du théâtre où il a fait ses débuts. Cette caméra en mouvement suit les personnages pour mieux les piéger. En femme libre, Lucy traverse le jardin, en hume les fleurs, avant d’interrompre sa marche pour se mirer dans une vasque remplie d’une eau trouble, encadrée de fleurs sombres, qui semble la prédestiner à une fin funeste.

Ici le miroir est toujours un piège. Les personnages s’y mirent sans soupçonner qu’on puisse les voir à travers sans être vu, percevoir des nuances qu’on chercherait à cacher. Les miroirs sont partout, omniprésents, comme pour rappeler le meurtre ouvrant le film dans une terrible, mais efficace première séquence qui annonce ce qui va suivre. Car si le miroir se répète sur la forme, c’est également le cas sur le fond. Le film étant construit en miroir. À l’intérieur des séquences, dans l’introduction Lucy et son mari meurtrier suivent le même chemin, si ce n’est que les lumières et les éléments de décors trahissent leur état d’esprit, pour l’une poétique, joyeuse, chantante, pour l’autre sombre, morbide, cruel. Mais ce motif du miroir se retrouve également dans l’intrigue.

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En effet, l’avocat et son épouse semblent voués à répéter le tragique destin de leurs amis. Sitôt les aveux entendus, notre protagoniste ne peut plus s’arracher de ses pensées les paroles expliquant la découverte de la trahison, le sentiment d’horreur jusqu’au crime inéluctable. Comme dans les films noirs d’Alfred Hitchcock, le spectateur sait déjà tout. Complice jusqu’au bout des ongles, il assiste impuissant à la tragédie et voit les personnages commettre les mêmes erreurs, s’enfermer dans les mêmes pièges, sans parvenir à s’en dépêtrer. Et plus l’étau se resserre, plus le suspense en devient insoutenable.

Ce scénario de William Anthony McGuire est basé sur une pièce de théâtre écrite par Ladislas Fodor. Ce n’est guère étonnant, car tout comme James Whale, William vient du théâtre lui aussi. Les décors, imposants, très différents d’un lieu à un autre, presque post-modernes pour la séquence d’introduction, très classiques pour l’intérieur de notre avocat, ont été créés par Charles D. Hall qui a également œuvré sur FRANKENSTEIN et LA FIANCÉE DE FRANKENSTEIN. La photographie, très travaillée également, plonge les personnages dans des zones d’ombres où ils vont se noyer et d’implacables lumières qui ne laissent plus de place aux secrets, révélant ainsi toutes les trahisons. On la doit à Karl Freund, un directeur de la photographie allemand qui a notamment travaillé avec Ernest Lubitsch, Fritz Lang ou encore Carl Theodor Dreyer et fait ses armes avec le cinéma expressionniste allemand.

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Les personnages, quant à eux, sont incroyablement incarnés par leurs comédiens. Lucy, la malheureuse infortunée, est campée par Gloria Stuart qui jouera également dans L’HOMME INVISIBLE toujours dirigé par James Whale et terminera sa longue carrière en jouant Rose âgée dans TITANIC de James Cameron. Face à elle, Paul Lukas (VINGT MILLES LIEUES SOUS LES MERS, UNE FEMME DISPARAIT) incarne le mari désespéré et meurtrier, parvenant parfaitement à retranscrire toutes les émotions le traversant : de la haine à l’amour, de la cruauté à la culpabilité, jusqu’à l’étonnante lucidité dont peine à faire preuve le personnage campé par Frank Morgan, rôle-titre du film, qui a débuté sa carrière dans le cinéma muet et a réussi à la conserver au passage du parlant.

Il est surtout célèbre pour son rôle dans LE MAGICIEN D’OZ de Victor Fleming. Séparée par un miroir, Nancy Caroll au visage poupin incarne son épouse inquiète de subir le même sort que son amie. Elle a joué dans la première version de THE WOLF OF WALL STREET de 1929. Enfin, il ne faut pas oublier l’excellente Jean Dixon qui a débuté sa carrière à Broadway avant de jouer dans treize films notamment avec Joan Crawford, Fritz Lang ou encore Henry Fonda. Son personnage de femme moderne, indépendante, forte, jugeant les hommes sans se méprendre sur la société patriarcale dans laquelle elle évolue résonne tant aujourd’hui qu’on est presque déçu qu’elle ne soit pas plus présente durant le film.

Si James Whale est passé à la postérité pour ses FRANKENSTEIN et son HOMME INVISIBLE, LE BAISER DEVANT LE MIROIR est une démonstration de son talent qui ne se limitait pas au film d’horreur même si, son style de réalisateur sans grande affinité avec l’horreur a définitivement révolutionné le genre alors balbutiant. Film noir aussi beau que redoutable, LE BAISER DEVANT LE MIROIR mérite d’être plus connu tant c’est un bijou quelque peu percutant dont, hélas, le sujet n’a rien perdu de son importance.


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- Article rédigé par : Sophie Schweitzer

- Ses films préférés : Le bon, La brute et le Truand, Suspiria, Mulholland Drive, Les yeux sans visage, L'au-delà - Ses auteurs préférés - Oscar Wilde, Sheridan LeFanu, Richard Mattheson, Stephen King et Poppy Z Brite

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