Un texte signé Yannik Vanesse

USA - 2010 - Bradbury Ray

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Léviathan99

Ray Bradbury est un auteur surtout connu pour FARENHEIT451, un livre de science-fiction très marquant qui a été adapté au cinéma. Il a cependant créé nombre d’autres œuvres, en particulier une grande quantité de nouvelles, comme les fameuses CHRONIQUES MARTIENNES. En plus d’avoir, tout au long de sa vie, écrit des histoires dans de nombreux genres (science-fiction, mais aussi beaucoup de drames, de thrillers, ou encore du fantastique), il a aussi travaillé pour le cinéma, aidant par exemple au scénario de MOBY DICK. LEVIATHAN 99 est un ouvrage regroupant la traduction de deux recueils anglo-saxons, ainsi qu’une autre nouvelle, et ne possède ainsi aucune contrepartie anglaise.

Le premier recueil, intitulé LE PIJAMA DU CHAT, regroupe 21 nouvelles, chacune n’excédant pas quelques pages. Elles sont datées, et proviennent, pour la plupart, de fin 40, début 50, ou de début 2000, même si l’on trouve quelques histoires datant des années 80. Ce qui marque le lecteur, c’est la mélancolie douce-amère qui souffle à travers ces récits. Durant les années quarante ou cinquante, Ray Bradbury semblait fasciné par le rôle des Noirs dans la société, et réfléchissait beaucoup à cela. Le premier récit, LE JEUNE HOMME ET LA MER, prend pour héros un jeune Noir cherchant à devenir blanc, qui fait la connaissance d’un jeune Blanc passant son temps à bronzer pour être noir. L’écriture est douce, fluide, et nous emmène dans un récit à la mélancolie étouffante, qui se conclut de manière très triste. Dans LA METAMORPHOSE, les mêmes thèmes se retrouvent, mais la transformation est forcée, un raciste particulièrement virulent étant noirci contre son gré par un tatoueur revanchard. NOUS FERONS COMMME SI DE RIEN ETAIT raconte l’attente d’une vieille femme noire, qui doit revoir l’homme blanc qu’elle a élevé, quand elle travaillait pour sa famille. Encore une fois, le constat de la considération des noirs est d’une tristesse étouffante, et la plume de Bradbury dresse ce postulat sans caricature, sans insistance, le temps de quelques pages très tristes mais qui évitent le pathos larmoyant.
Quand il abandonne ce genre de constatations, il se penche sur le temps qui passe (MAIS OU EST MON CHAPEAU, où un homme s’aperçoit qu’il est malheureux avec sa femme, et qu’il ne veut plus rater d’occasions) ou se laisse aller à de délicieux moments d’ironie. GLOIRE A NOTRE CHEF se penche ainsi sur le président américain, qui découvre que ses députés ont été dans un casino indien et, complètement saouls, ont perdu les Etats-Unis, état par état.
Par moment, l’auteur plonge dans le fantastique ou dans la science-fiction, mais toujours de manière posée, douce et triste. UN PEU AVANT L’AUBE s’intéresse au voyage dans le temps, mais, encore une fois, avec une grande mélancolie, du genre à risquer d’arracher une larme au lecteur, de même que ROUTE 66, récit bouleversant en diable, mais très américain par sa plongée dans la Grande Dépression et la manière qu’elle a eu de marquer les esprits, alors qu’un policier, en enquêtant sur des meurtres ayant eu lieu sur la fameuse route 66, découvre qu’un homme s’est perdu dans le temps, et erre sur cette route, en un long et triste voyage.
Tous ces récits laissent parfois un goût de brutalité dans leur fin (en quelques pages, la conclusion est parfois précipitée), mais hantent le lecteur par cette amertume triste qui transpire de chaque histoire, parfois coupée le temps d’une mélancolie délicate, alors que l’auteur fait revivre des gloires du temps passé, le temps d’un ORIENT-EXPRESS DE L’ETERNITE ou envoie un voyageur dans le temps pour permettre à un célèbre auteur de terminer son livre, à travers LA BETONIERE A MAFIOSI.
C’est déstabilisé que le lecteur attaque donc l’interlude, CHRYSALIDE, qui s’intéresse à un homme qui, mutant, se retrouve paralysé, sa peau étant devenue de la dureté du métal. Les scientifiques, en l’étudiant, pensent finalement que l’homme est dans une chrysalide, et s’interrogent sur ce qu’il va devenir. Encore une fois, l’écriture de l’auteur est magnifique, douce, maîtrisant le pathos et le questionnement à la perfection pour raconter les doutes, les craintes envers une race supérieure et ce qu’elle pourrait faire à l’humanité. Ray Bradbury interroge le lecteur sur sa crainte de l’inconnu, et le fait avec brio.
Mais le point d’orgue de LEVIATHAN 99 est bel et bien le dernier recueil, qui regroupe deux histoires. L’une, QUELQUE PART JOUE UNE FANFARE, envoie un journaliste à la recherche d’une minuscule ville vouée à disparaître à cause de la construction d’une autoroute. Dans cette ville au milieu du désert, notre personnage principal découvrira l’amour, lors d’un récit bouleversant, une histoire d’amour certes magnifique, mais bourrée d’un fantastique doux-amer, alors que le héros découvre des personnes vivant en autarcie pour cacher leur immortalité. Encore une fois, Ray Bradbury évoque le temps qui passe, la difficulté à s’adapter à son époque, la peur de l’inconnu, tandis que notre héros doit choisir, au final, entre le monde qu’il a connu et l’amour. Magnifique et inoubliable.
LEVIATHAN 99, qui donne son nom à l’ouvrage, est un récit marqué par l’écriture du scénario de MOBY DICK par l’auteur, alors qu’il envoie un équipage de vaisseau spatial à la poursuite d’une comète dantesque, le capitaine étant aussi obsédé par la comète que le fameux capitaine était obsédé par le célèbre monstre marin. Encore une fois, Ray Bradbury traite cette histoire avec justesse, la capacité d’un des personnages à lire dans les esprits permettant une plongée dans la folie du capitaine, mais une plongée pleine de tristesse et de poésie.
LEVIATHAN 99 n’est, au final, pas un livre aisé d’accès, mais il embarque son lecteur sur des territoires peu usités, touchant régulièrement le cœur du spectateur, et offre une lecture dont on ne sort pas indemne.


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- Article rédigé par : Yannik Vanesse

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